Droit de l'enfant - le délégué général

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Du point de vue des droits de l'enfant

Dans le contexte de ce qui est désormais connu sous l’appellation abondamment utilisée, notamment par les médias – traditionnels ou sociaux -  et les responsables politiques en FWB mais aussi ailleurs en Belgique et à l’étranger, de processus de « radicalisation » ou de « radicalisme violent », on ne s’étonnera pas de constater que l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) concernant l’intérêt supérieur de l’enfant soit régulièrement invoqué dans toutes les mesures prises à l’égard et à l’encontre des jeunes concernés de près ou de loin par ce phénomène récent, au cœur d’une actualité dramatique et violente.

 

Or, la relecture attentive de quantité d’articles de la CIDE, à la lumière de cette actualité, montre de possibles antagonismes dans l’interprétation qui peut être faite du texte selon que l’on se placera du point-de-vue de l’enfant ou de celui de l’adulte, plus encore si ce dernier incarne une autorité dans sa communauté. Partant du principe qu’être bien informé sur ses droits, bien les connaître, c’est permettre de mieux reconnaître et respecter ceux des autres, il nous a semblé intéressant de recontextualiser les contenus de la CIDE en lien avec les récits de vie des jeunes qui se sont confiés à nous pour le projet « Rien à faire, rien à perdre ». Car ce sont les différentes interprétations du droit, qu’elles soient morales ou strictement juridiques, qui sont au cœur de cette réflexion dont l’enfant doit rester à la fois le sujet et la priorité.

 

 

ARTICLE 3

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.


2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.
Au regard de la question qui nous occupe, comment interpréter « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » et quelles peuvent être les mesures « législatives et administratives appropriées » quand on constate, en Fédération Wallonie-Bruxelles par exemple, que des mineurs d’âge ont été privés de liberté « préventivement » alors que le Délégué général aux droits de l’enfant recommande :

 « avec la plus grande fermeté, de renoncer à une politique d’enfermement. Ceci implique qu’en concertation avec les Communautés, le recours à des mesures de maintien dans le milieu familial et social, avec un accompagnement si nécessaire intensif, puisse devenir la priorité et pas uniquement au niveau des discours.

Enfermer n’a jamais été une solution, que ce soit pour les adultes et moins encore pour les mineurs, en pleine construction identitaire. Enfermer un jeune de 16 ans pendant de longues périodes se révèle souvent inefficace voire contreproductif. Lui demander, par la suite, de se réinsérer dans la société est particulièrement délicat. La question se limite à poser des choix : quand convient-il d’investir fortement dans la prévention générale, dans les aides en milieux ouverts, dans le soutien à la parentalité ou, en bout de course, dans la création de places fermées dont on sait qu’elles sont principalement occupées par des filles et des garçons issus de familles précarisées et qui n’ont pas profité pleinement de l’offre éducative et préventive ? »


Il semble indispensable de rappeler que des mineurs d’âge ne peuvent être placés en IPPJ en dehors de la commission d’un fait qualifié infraction, condition légale du placement en IPPJ en Fédération Wallonie-Bruxelles.


Parallèlement à la question de la pertinence de l’enfermement pour adresser la « radicalisation» supposée d’un.e jeune, se pose celle de l’adéquation de la prise en charge qui peut être proposée à ces jeunes en IPPJ. Fournit-elle aujourd’hui les outils nécessaires à ces jeunes pour aborder leur sortie de manière positive et adéquate ? Cette interrogation n’est pas nouvelle mais elle se pose de manière plus accrue encore pour la thématique du radicalisme violent.

 

Nous sommes bien tous ici, autorités, institutions ou autres structures confondues, confrontés aux limites d’un système qui n’a pas su prévoir, prévenir, anticiper une situation qui aujourd’hui pose la question de la crédibilité de chacun dans son rôle et de notre capacité à réagir de manière intelligente, sereine, humaine, solidaire à des réalités auxquelles nous n’avons jusque là jamais été confrontés, parfois extrêmement violentes.

 

C’est dans le récit de vie de ces jeunes que nous pouvons trouver une partie des réponses. Marie explique qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle était enfermée en IPPJ alors qu’elle n’avait rien fait de répréhensible. Elle admet finalement que cette mise entre parenthèses, avec un encadrement adéquat, lui aura finalement permis de réfléchir aux possibles conséquences de ses actes avant même d’avoir pu les commettre. Son témoignage révèle qu’une personne en particulier (la conseillère musulmane) semble avoir été une ressource considérable lors de son placement en IPPJ. Marie nous éclaire aussi sur la limite de l’efficacité de cette mesure quand elle évolue vers le régime « ouvert » de l’IPPJ et se trouve en contact avec d’autres jeunes filles de son âge, prises en charge par l’Aide à la Jeunesse, et qu’elle ne se reconnaît pas dans cette population de l’institution qui, dès ce moment, ne répond plus à ses besoins, ses attentes spécifiques légitimes.

 

Quelle que soit l’urgence avec laquelle il convient d’intervenir, pour chaque mineur.e concerné.e, il est indispensable de pouvoir peser l’impact de la mesure qui sera prise et que l’intérêt primordial de l’enfant reste la considération primordiale (de son point de vue également) et d’éviter l’automaticité des mesures pour travailler au cas par cas.

 

L’imminence du danger ne peut pas, même en situation de crise, avoir des répercussions néfastes voire dramatiques sur le développement des jeunes que nous avons pour mission de protéger. De ce fait, aucun adulte, quelle que soit l’autorité qu’il représente, ne peut instrumentaliser l’article 3 de la CIDE pour le transformer en alibi salutaire au regard de la morale si l’interprétation qu’il en fait ne rencontre pas, du moins en partie, celle de l’enfant. Nous devons donc être particulièrement vigilants pour éviter que les mesures sécuritaires et sanctionnelles qui apparaissent comme « naturelles » en réponse à la violence de l’actualité récente, et sont en forte augmentation,  ne viennent supplanter la notion d’intérêt primordial de l’enfant.

 

Dans cette optique, comment rester insensible aux déclaration d’Eric qui déplore l’intervention tardive des policiers avec qui il pense avoir été en contact sur un « faux » profil Facebook et dont il considère qu’ils l’ont laissé se radicaliser au lieu de le prendre en charge, de l’envoyer chez un « professeur » pour essayer de le « déradicaliser ». « Non, ils me laissent là, ils me laissent libre. C’est vraiment ça qui m’a encore plus enfoncé » ? Quand a-t-on pensé à l’intérêt supérieur de cet enfant dans le dispositif mis en place alors qu’il aurait suffit de l’écouter pour entendre qu’il attendait de l’aide ?

 

Les articles consacrés aux libertés (d’opinion, d’expression, de pensée), qui sont la grande nouveauté de la Convention de 1989, sont aussi ceux qui, dans la situation qui nous occupe, nous obligent à regarder les jeunes concernés sous un nouveau prisme.



ARTICLE 12

1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.


2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.


ARTICLE 13


1. L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.


2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires :

a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui; ou

b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.



ARTICLE 14


1. Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

 

ARTICLE 15

1. Les Etats parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui.
Au moins deux significations du « droit » s’opposent dans la seule énonciation de ces articles particuliers de la CIDE s’ils sont considérés à la lumière de l’actualité du moment du point-de-vue de l’enfant ou de l’adulte :

  1. Le droit est la faculté de réaliser une action, de jouir de quelque chose, d'y prétendre, de l'exiger.
  2. Le droit est l'ensemble des règles et des normes générales qui régissent les rapports entre les individus et définissent leurs droits et prérogatives ainsi que ce qui est obligatoire, autorisé ou interdit. Le droit est susceptible de voir son exécution appliquée de manière contraignante par l'intervention de la puissance publique, c'est-à-dire de l’Etat.

Le récit de Tia met magistralement en exergue les paradoxes auxquels elle est livrée. Quand elle nous dit qu’elle ne sait pas « exactement » ce que veut dire l’expression « se radicaliser » et qu’elle interroge sur le droit de pratiquer sa religion (article 14), elle nous revoie de fait à l’alinéa 2 de l’article 15 qui cite les « restrictions » au droit et les circonstances de « sécurité nationale, sûreté et ordre publics » qui les autorisent. Pour autant, peut-on affirmer catégoriquement que toutes les circonstances sont bien réunies pour appliquer ces restrictions vis-à-vis de Tia ou d’autres mineur.e.s avec des histoires similaires ?

Les actes terroristes perpétrés en France et en Belgique ont, notamment, eu pour conséquences la mise en place de mesures dites « sécuritaires » ou « de sécurité » qui, pour certaines, ont conduit à une réflexion sur l’atteinte aux libertés individuelles qu’elles impliquent (Etat d’urgence en France, niveau de la menace en Belgique, procédures d’intervention policières simplifiées…). Des mesures qualifiées de « temporaires » qui ont tendance à s’installer durablement et qui pourraient donner un faux sentiment de « gestion de la situation/crise » par l’Etat. 

Si l’on peut comprendre que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ne soit pas ou plus prise au pied de la lettre pour répondre à certains événements exceptionnels réclamant des mesures exceptionnelles avec certains individus voire certain.e.s mineur.e.s, on ne peut pas tolérer que le pouvoir s’asseye sur tout l’alphabet, notamment lorsqu’il est question d’enfant dont la faculté de résister ou de s’opposer aux mesures est quasiment nulle. Et cela, au risque de conforter des jeunes qui ont déjà le sentiment d’avoir été – à tort ou à raison - délaissés, abandonnés, ignorés ou maltraités par l’Etat dans l’idée qu’ils sont des citoyens de seconde zone auxquels ne s’appliquent pas les règles qui s’appliquent aux autres.

Tia l’explique bien quand elle dit que si même on lui retire sa carte d’identité elle restera Belge et Marocaine ; quand elle explique qu’elle a été considérée par la justice comme une terroriste qui rentrait de Syrie (alors que sa volonté était de partir en Palestine et qu’elle n’a pas été jusqu’au bout de son projet de voyage).

Elle cite pratiquement la Convention pour constater qu’elle n’a pas la liberté d’exercer librement les droits qui sont les siens quand elle déclare qu’on n’a pas le droit de la punir parce qu’elle possède des photos et des vidéos choquantes sur son téléphone, qu’elle a le droit de s’informer (article 13) ou qu’on est libre de s’exprimer que si « t’es de leur côté à eux » (article 13). Idem quand elle condamne sans équivoque les hommes qui ont perpétré l’attentat contre Charlie Hebdo (« c’est vrai, ça se fait pas ») mais qu’elle insiste sur le fait que ça ne veut pas dire que pour autant elle « est Charlie ». Ou enfin quand elle revit son passage devant la justice et que son avocate est restée muette ou qu’on ne l’a pas entendue, elle, dans la procédure parce que les mineurs n’auraient pas de bouche, pas de cerveau ou ne sauraient pas parler (article 12).

Des « dérives » ont déjà pu être constatées dans les interpellations que reçoit le Délégué général aux droits de l’enfant. Par exemple, des enfants qui, usant de leur liberté de conscience, ont refusé de faire une minute de silence lors des attentats de Paris ou de Bruxelles, ont été sanctionnés négativement sans qu’un travail de réflexion sur l’événement n’ait été proposé.

Le risque est grand de voir sacrifiés sur l’autel de la sécurité, les droits de certain.e.s jeunes pour qui seule la dimension morale du droit serait encore valide dans un monde où ces mêmes jeunes n’auraient plus que des devoirs. Il relève de la responsabilité et des missions du Délégué général aux droits de l’enfant d’alerter sur ce danger d’infra-humanisation de certain.e.s jeunes de notre Communauté qui serviraient de boucs émissaires aux conséquences dramatiques du manque de vision à moyen et long terme dans certaines politiques notamment éducatives, de cohésion sociale, migratoires et de prévention à tous les niveaux de gestion de l’Etat (local, régional, communautaire et fédéral).

 

ARTICLE 16


1. Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

2. L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

 

ARTICLE 19


1. Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

2. Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire.

Les mesures d’exception, dont il est fait mention supra, amènent également à une transformation des méthodes d’investigation, d’enquête et d’intervention des forces de l’ordre qui peuvent soumettre des enfants, parfois très jeunes, à des conditions de stress, des situations de violence symbolique ou réelle, physique et psychologique, inacceptables.

Tous les récits des mineur.e.s qui ont participé au projet « Rien à faire, rien à perdre » concordent pour dire que les interventions policières auxquelles ils ont assisté n’ont, en aucun cas, tenu compte de la présence sur les lieux d’enfants, parfois en très bas âge, en contravention évidente avec l’article 19 de la Convention.

La violence de certaines interventions, le traitement auxquels certain.e.s jeunes ont été soumis (privation de liberté, entraves aux poignets et aux pieds, humiliations, absence ou manque d’information, confiscation de certains biens comme les téléphones portables…) illustrent des atteintes systématiques à l’article 16 de la CIDE – comme si la vie privée de l’enfant devenait une donnée facultative dans sa prise en charge -  et une forme de désarroi de l’Etat face à la menace terroriste agissant dans l’urgence, la précipitation et parfois dans la volonté de faire l’exemple, plus particulièrement quand il s’agit de mineur.e.s d’âge. Sans parler des dégâts provoqués sur les fratries, victimes collatérales injustes d’actions policières qui sont dirigées vers des tiers. Que ces tiers soient membres de leurs familles, leurs frères, leurs sœurs, n’étant pas un argument suffisant pour les exposer à ce genre de traumatisme dont on mesure mal ce que seront les retombées à court, moyen et long terme.

 

ARTICLE 17


Les Etats parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. A cette fin, les Etats parties :

a) Encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l’enfant et répondent à l’esprit de l’article 29;

b) Encouragent la coopération internationale en vue de produire, d’échanger et de diffuser une information et des matériels de ce type provenant de différentes sources culturelles, nationales et internationales;

c) Encouragent la production et la diffusion de livres pour enfants;

d) Encouragent les médias à tenir particulièrement compte des besoins linguistiques des enfants autochtones ou appartenant à un groupe minoritaire;

e) Favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18.

L’article 17 est le lieu d’un nouveau paradoxe ou le symptôme supplémentaire d’une schizophrénie du droit lorsqu’il est question d’interpréter la CIDE dans l’intérêt supérieur de jeunes engagés à un moment ou un autre dans un processus de « radicalisme violent ». Il est impossible aujourd’hui de nier l’importance de la fonction remplie par les médias (traditionnels et sociaux) dans l’éducation, l’information, la construction comme citoyens des enfants de notre époque. Or l’approche des médias de masse et de grande diffusion des questions liées au terrorisme est soumise à des critiques légitimes, sur la forme et sur le fond, car la nature même des faits qui sont rapportés et commentés pousse les journalistes et autres experts aux limites de leurs compétences. Plus grave encore, le traitement médiatique des attentats, la course à l’audience, la recherche du scoop, ont amené certains médias à provoquer, amplifier, soutenir des manifestations de rejet ou de discriminations vis-à-vis de certaines communautés. A cela il faut encore ajouter le fait que les groupes intégristes maîtrisent parfaitement les techniques et stratégies de communication actuelles et utilisent les médias favoris des jeunes générations pour diffuser leurs messages de haine, de mort et recruter jusqu’à dans notre communauté.

Il y a peu, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel rappelait dans son Baromètre « Jeunes et médias » datant de 2013 « un déficit certain de représentation des jeunes à l’écran, que ce soit en termes d’identité sociale ou de participation (prise de parole, rôles médiatiques et sociaux). S’ils ont leur place en télévision – essentiellement sur les télévisions publiques, particulièrement dans les télévisions locales – cette place est limitée, cadrée, voire stéréotypée, notamment pour ce qui concerne les adolescents (13-18 ans). L’image globale renvoyée par les médias est celle d’une jeunesse sans parole, passive et désinvestie dans les programmes tous publics. »

Comment, ce préalable étant posé, imaginer que ces mêmes médias puissent rencontrer la lettre et l’esprit de l’article 17 en assurant le bien-être social, spirituel et moral autant que la santé physique et mentale de tous les enfants et de tous les jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Qui va aider Tia à faire le tri da ns les rumeurs, les mensonges, les vérités, les faits, la manipulation des images et des idées si les médias de notre communauté ne répondent pas à leurs obligations en termes d’éducation aux médias et d’éducation permanente (article 17 e) ? Comment Marie, Tia et les autres vont-ils prendre leur place dans la société si les médias ne les représentent pas ? Comment ces jeunes peuvent-ils créer du lien chez eux quand les discours qui leur sont destinés, sans les inviter à participer au débat, leur donnent pour seule injonction de s’intégrer alors qu’ils sont nés ici ?

Les jeunes nous expliquent, en filigrane, qu’ils sont conscients de différences de traitement de l’information dans les médias traditionnels. Internet et les réseaux sociaux ont donné accès de manière quasi instantanée à de l’information en provenance  de partout dans le monde. Les images des  violences, des injustices, subies par certaines populations tournent en boucle sur la webosphère et souvent les jeunes nous renvoient la question de « pourquoi on ne montre pas ça à la télévision chez nous ? ». Ces arguments étant souvent utilisés par les recruteurs pour renvoyer les jeunes à une forme d’opposition manichéenne : « c’est eux contre nous », il faut choisir son camp.

C’est, en substance, ce que veut nous dire Eric quand il affirme qu’il s’agit «  de voir plus clair au niveau de la complexité des choses, de se rendre compte que le monde n’est pas simple ». Ou lorsqu’il fait preuve d’une lucidité exemplaire quand il déclare que s’il n’avait pas supprimé son compte Facebook, il aurait pu « (s’) enfoncer, (s’) enfoncer, ça ne (l’) aurait pas aidé ». « C’est vraiment ça qui a commencé à me sauver, je ne me rendais pas compte à quel point je pouvais changer après ça ».


ARTICLE 28

1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :

a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;

b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin;

c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés;

d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles;

e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire.

2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.

3. Les Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.


ARTICLE 29


Observation générale sur son application

1. Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :

a) Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;

b) Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;

c) Inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;

d) Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone;

e) Inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.

2. Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’Etat aura prescrites.

« Quand on a une personne de sciences devant nous, on voit vraiment les choses différemment, on ne voit pas les mêmes choses (…) Je ne sais pas expliquer comme ça mais il faut vraiment avoir des personnes de science parce que sans les personnes de science comment est-ce qu’on va apprendre les choses ? » Eric

La question du rôle de l’éducation, du système scolaire dans l’analyse qui nous occupe est probablement l’une des plus délicate voire polémique à aborder. Depuis plusieurs années, ce sont en effet les questions scolaires qui arrivent en tête des saisines du Délégué général aux droits de l’enfant dans les dossiers individuels traités par son institution. Un important chapitre consacré aux aspects inégalitaires de l’enseignement prodigué en Fédération Wallonie-Bruxelles figure dans son rapport d’activité chaque année qui souligne, entre autres, que le système scolaire a tendance à fixer les inégalités sociales plutôt qu’à favoriser l’émancipation de tous les enfants, de tous les élèves. L’enseignement, malgré les textes et les affirmations de certains, n’est pas réellement gratuit, n’assure pas à tous l’accès à l’enseignement supérieur ; ne rend pas véritablement ouvertes et accessibles à tous les élèves l’information et l’orientation scolaires et professionnelles… Ce qui a pour conséquence que l’éducation ne favorise pas l’épanouissement de la personnalité de tous les enfants ni le développement de leurs dons, de leurs aptitudes mentales et physiques. Et, dans les temps difficiles que nous vivons, on peut raisonnablement s’interroger sur les moyens dont dispose vraiment l’école pour inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le respect de ses parents, de son identité (laquelle pour certain.e.s ?), de sa langue, et de ses valeurs culturelles autant que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne face à une déferlante d’informations contradictoires, parcellaires et à la concurrence des techniques de communication actuelles auxquelles les jeunes ont tendance à accorder plus de crédit qu’à une école qui ne les traite pas toujours comme elle le devrait. L’actualité des deux dernières années nous montre clairement que l’école n’a malheureusement pas préparé tous les enfants à assumer des responsabilités dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques ou religieux. L’humanisme des textes, qu’il s’agisse de la CIDE ou, par exemple, du Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, est combattu – à armes inégales -  chaque jour par la réalité socio-économique et sociopolitique de notre communauté et du reste du monde plus forte que leur esprit et leur lettre.

Eric résume bien la situation quand il dit qu’il était seul quand il allait à l’école, seul à la maison, et que pourtant, selon lui, il « faut vraiment être suivi par des gens de science (…) Et ça c’est dans tous les domaines. Quelqu’un qui apprend les mathématiques tout seul, ce n’est pas comme quelqu’un qui apprend avec un professeur. Voilà, moi, si j’apprends les mathématiques tout seul (…) oui il y a la multiplication, la division, la soustraction, ça s’arrête là (…) Quand on est suivi par un professeur on se rend compte de la complexité de la chose et qu’on n’est pas là pour donner des cours de mathématiques aux savants mathématiciens alors que nous on ne sait rien des mathématiques ».