Avis sur la situation des enfants dans la migration
Organe d’avis CNDE
A l’occasion du 30ième anniversaire de la loi du 15 décembre 1980 sur le séjour, l’organe d’avis de la Commission Nationle pour les Droits de l’Enfant rend l’avis suivant.
Tous les enfants migrants doivent bénéficier d’une attention toute particulière, sans distinction, quel que soit leur statut légal ou administratif (§18 CRC GC n°6). Il peut s’agir d’enfants seuls ou accompagnés, qui migrent de leur pays d’origine vers ou à travers notre pays, en quête de survie, de sécurité, d’un meilleur niveau de vie, d’éducation, d’opportunités économiques, d’une protection contre l’exploitation et les abus, d’un regroupement familial, ou d’une combinaison de ces facteurs.
Les circonstances dans lesquelles ces enfants se trouvent, ainsi que les défis auxquels ils ont à faire face sont complexes et réclament des approches à la fois multilatérale, globale et holistique qui prennent en compte les principes généraux de la CIDE: le droit à la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent, le droit à la vie, à la survie et au développement et le droit d’exprimer librement leur opinion.
A propos du droit à la participation, à l’information, à une procédure équitable et au respect du principe d’un délai raisonnable dès l’arrivée sur le territoire
Le droit des enfants migrants à la participation, notamment leur droit à une information accessible, leur droit d’être entendu et leur accès à des recours et à des mécanismes de plainte adaptés à leur âge, devrait être assuré dans toutes les procédures et processus décisionnels pertinents, dès leur arrivée. En cas de besoin et dès son signalement, l’enfant devrait être assisté par un interprète indépendant (art. 17 CIDE ; lignes directrices du Conseil de l'Europe sur une justice adaptée aux enfants ; CRC GC n°14 ; §§ 25 et 71 CRC GC n° 6).
Toutes les personnes en contact avec des enfants migrants (notamment les dépositaires de l’autorité publique, les autorités judiciaires, les avocats, les enquêteurs, les interprètes, les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé, les tuteurs, les représentants légaux, les officiers de police et gardes-frontières…) devraient être obligatoirement formées de manière adéquate au respect des droits de l’enfant, à leur manière de communiquer ainsi qu’à la compréhension de leurs besoins culturels, et être capables de répondre de manière appropriée aux signes de peur ou de détresse (§26 CO CRC 2010 ; §75 CRC GC n°6 ; §94-95 CRC GC 14).
La modification en cours du règlement de Dublin en vue d’éviter que les mineurs étrangers non accompagnés (ci-après : MENA) soient inutilement transférés d’un Etat membre à l’autre, permettra aux MENA d’avoir plus rapidement accès aux procédures d’asile.
Une telle application du principe de l’urgence devrait avoir lieu dans toutes les procédures concernant des enfants, afin d’apporter une réponse rapide et de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, dans le respect des droits fondamentaux (§50 des lignes directrices du Conseil de l'Europe sur une justice adaptée aux enfants).
De même, le droit au recours selon la procédure en pleine juridiction, qui permet à l’instance de recours de prendre une décision sur le fond, devrait être garanti à chaque enfant migrant, sans distinction selon qu’il s’agisse ou non de demandeurs d’asile.
A propos des alternatives à la détention, du droit à la liberté et du droit de vivre en famille
Dans toutes les situations auxquelles les enfants sont confrontés dans leur parcours migratoire (arrivée sur le territoire, séjour, retour volontaire ou contraint), leur détention ou leur enfermement pour des raisons purement administratives doit être impérativement proscrit. Des alternatives humaines à toute forme de détention, maintenant l’unité des familles (en 2014, 21 familles ont été séparées) et garantissant l’intérêt supérieur des enfants, doivent être organisées à chaque instant de leur parcours (§61 CRC GC n°6 et liste de références cf infra).
A propos du droit à une prise en charge appropriée et adaptée à l’âge
Des conditions d’accueil appropriées et adaptées à leur âge doivent être assurées pour tous les enfants migrants, européens et non-européens. Il s’agit d’un pré-requis nécessaire à la réalisation et à la protection de tous les autres droits de ces enfants.
A propos du droit à la protection de la santé et à l’enseignement
Dès leur arrivée sur le territoire, les enfants migrants doivent aussi bénéficier de soins appropriés, eu égard à leurs besoins spécifiques au niveau éducatif, psychologique et de santé (mentale), au même titre que les autres enfants, sans aucune distinction selon leur statut de séjour (art. 2 CIDE ; §18 CRC GC n°6). Garantir l’accès à tous ces droits est déterminant pour l’intégration des enfants dans la société d’accueil.
Un suivi psychologique transversal doit être proposé à tout MENA depuis son arrivée sur le territoire et prolongé autant que nécessaire (§§39-40 CRC GC n°6). Cette aide psychologique spécialisée est généralement bien dispensée dans les centres d’accueil mais des difficultés sont fréquemment rencontrées lorsque les enfants sortent des centres et sont confrontés à l’insuffisance de ressources spécialisées. Il convient donc d’encourager la création d’organisations ou de centres spécialisés supplémentaires, capables d’assurer à la fois des expertises et des suivis individuels des jeunes concernés.
Les dispositifs scolaires spécifiques à la prise en charge des enfants migrants doivent être suffisamment nombreux et correctement répartis sur l’ensemble du territoire. Cela signifie notamment qu’ils doivent être présents aux alentours des centres d’accueil gérés par Fedasil ou les partenaires de l’accueil. Ils doivent aussi être suffisamment accessibles aux enfants migrants vivant en dehors des centres.
Durant la période de séjour dans un centre d’accueil, il y a lieu d’éviter les changements de centre, défavorables à la stabilité des enfants, et de proscrire formellement ces déménagements dans une autre région linguistique que celle dans laquelle les enfants ont débuté leurs apprentissages scolaires ( l’effectivité du droit à l’enseignement (art. 28-29 CIDE); §40 CRC GC n°6; §§94-95 CRC GC n°14).
A propos de la tutelle pour MENA
Un tuteur doit être désigné pour chaque mineur non-accompagné, quelle que soit sa nationalité. Il y a lieu d’augmenter le nombre de tuteurs et de renforcer le Service des tutelles afin de respecter les prescrits légaux et d’octroyer les services d’un tuteur dans les délais impartis. Le Service des tutelles doit conserver son indépendance par rapport aux autres acteurs concernés, notamment l’Office des étrangers, Fedasil, le CPAS. Il doit remplir son rôle légal d’identification des MENA.
La détermination de l’âge doit avant tout se baser sur des preuves documentaires. Des examens supplémentaires ne peuvent être réalisés qu’en tout dernier ressort et, en matière administrative, à la demande du seul Service des tutelles. Ces différents examens doivent être réalisés par des experts médicaux et des travailleurs sociaux indépendants en présence du tuteur et à la suite d’une information complète de l’enfant sur les examens à réaliser et les conséquences de ceux-ci (tant sur le plan de sa santé que par rapport à sa situation administrative). Conformément à l’avis de l’Ordre des Médecins du 20/02/2010, l’accord de l’enfant doit être recueilli de manière explicite préalablement à tout examen et un tuteur provisoire ou une personne de référence doit systématiquement être désigné. Tout au long de la procédure de détermination ou d’estimation de l’âge, toute personne prétendant être un enfant doit être considérée comme telle. Tout doute sur l’âge joue en faveur du jeune (§31 CRC GC n°6 ; art. 7§3 loi sur la tutelle pour MENA).
Les tuteurs doivent être adéquatement formés tant aux règles administratives et légales qu’aux spécificités des enfants qu’ils accompagnent. En lien avec les Communautés, il y a lieu d’encourager les initiatives locales d’accueil des jeunes migrants (ILA organisées par les CPAS) ainsi que les initiatives citoyennes d’accompagnement (familles d’accueil, familles de parrainage, etc.), moyennant leur soutien en termes de formation pour les accueillants et d’accompagnement psycho-social pour les enfants concernés (§40 CRC GC n°6).
A propos de la solution durable pour MENA
Les intérêts de l’enfant doivent être déterminés par une instance indépendante des services de l’immigration, de préférence l’instance nationale chargée des questions touchant à la protection de l’enfance, pour éviter les conflits d’intérêt (Comité économique et social européen, avis sur la proposition de révision du règlement Dublin, 2014). Une solution durable doit être déterminée pour chaque MENA avant l’âge de la majorité. Le commissaire aux droits de l’Homme auprès du Conseil de l’Europe a récemment souligné que la Belgique pourrait faire mieux dans le cadre de la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le fait que les MENA européens en situation vulnérable ou ayant introduit une demande de séjour temporaire, malgré la désignation d’un tuteur depuis mai 2014, n’aient pas accès à cette procédure de séjour spéciale pour MENA, va à l’encontre du principe de non-discrimination (art. 2 CIDE).
Aucune mesure de reconduite ne peut être organisée sans qu’une analyse de l’impact de cette décision sur les droits fondamentaux de l’enfant n’ait été réalisée et, en tout état de cause, sans avoir recueilli l’opinion de l’enfant (art. 12 CIDE). Lorsqu’un retour est finalement organisé, des contacts doivent avoir été pris avec les autorités et les services sociaux des pays concernés afin de s’assurer que les conditions de retour respectent en tout point les droits fondamentaux des enfants et qu’il s’inscrit dans une perspective de solution durable (§§84-87 CRC GC n° 6 ; art. 5 Directive retour).
A propos de la place des droits de l’enfant dans la loi du 15 décembre 1980
L’organe d’avis de la CNDE conclut cet avis par une recommandation au gouvernement fédéral d’inscrire dans la loi du 15/12/1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers une disposition transversale sur les droits de l’enfant, libellée comme suit :
« Les mineurs jouissent dans le cadre de la présente loi, à titre propre, de droits et libertés, au nombre desquels figurent ceux qui sont énoncés dans la Constitution et la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, et notamment le droit de se faire entendre au cours du processus conduisant à des décisions qui les touchent et de prendre part à ce processus, ces droits et libertés devant être assortis de garanties spéciales :
a) les jeunes ont le droit, chaque fois que la loi est susceptible de porter atteinte à certains de leurs droits et libertés, d'être informés du contenu de ces droits et libertés;
b) les père et mère assument l'entretien, l'éducation et la surveillance de leurs enfants. Par conséquent, les jeunes ne peuvent être entièrement ou partiellement soustraits à l'autorité parentale que dans les cas où des mesures tendant au maintien de cette autorité sont contre-indiquées;
c) l'état de dépendance où ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité créent dans leur chef des besoins spéciaux qui exigent écoute, conseils et assistance ». (proposition basée sur le titre préliminaire de la loi relative à la protection de la jeunesse)
L’organe d’avis incite les gouvernements et instances compétentes à donner suite à cet avis, dans le respect de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Bernard De Vos (DGDE), Maud Dominicy (UNICEF Belgique), Jacques Fierens (UNamur, ULg, UCL), Farah Laporte (Kinderrechtencoalitie Vlaanderen), Wouter Vandenhole (Universiteit Antwerpen), Eric van der Mussele (OVB), Frédérique Van Houcke (CODE), Benoit Van Keirsbilck (DEI Belgique), Juan Verlinden (avocat.be), Membres effectifs
Robert Crivit (Uit De Marge), Sibille Declercq (Awel), Geert Decock (OVB), Cécile Delbrouck (avocat.be), Olivier De Schutter (UCL), Sarah Grandfils (DEI Belgique), Géraldine Mathieu (DEI Belgique), Valérie Provost (CODE), Johan Put (K.U. Leuven, Karin Van der Straeten (DGDE), Membres suppléants
Liste de références non-exhaustive :
En général :
Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) : art. 2, 3, 10, 12, 13, 17, 19, 20, 22, 24, 26-28, 34-37
Concluding observations (observations finales) du Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies suite à la présentation du 3e et 4e rapport périodique combiné de la Belgique, 2010 (CO CRC)
Committee on the rights of the child, General Comment n° 6 (2005), Treatment of unaccompanied and separated children outside their country of origin, Doc CRC/GC/2005/6 (CRC GC n° 6)
Committee on the rights of the child, General Comment n° 14 (2013) on the right of the child to have his or her best interests taken as a primary consideration (art. 3, para 1), CRC/GC/2013/14 (CRC GC n°14)
ENOC, Déclaration sur les enfants migrants, 2013, http://enoc.eu/wp-content/uploads/2015/01/ENOC-2013-Statement-on-Children-on-the-Move-FR.pdf / Position statement on Children on the move, http://enoc.eu/wp-content/uploads/2015/01/ENOC-2013-Statement-on-Children-on-the-Move-EN.pdf
Comité économique et social européen, Avis sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 604/2013 en ce qui concerne la détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un mineur non accompagné dont aucun membre de la famille, frère ou sœur ou proche ne se trouve en séjour régulier dans un État membre, COM(2014) 382 final — 2014/0202 (COD) (2015/C 012/11)
Myria, La migration en chiffres et en droits 2015
Office des Etrangers, Rapport d’activités 2013 et Rapport statistiques 2014
En matière de détention :
Art. 17 Return Directive 2008/115/EC
Comité des droits de l’enfant, Rapport journée de discussion générale 2012, http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/CRC/Discussions/2012/DGD2012ReportAndRecommendations.pdf
Council of Europe, Committee for the Prevention of Torture, The CPT standards, CPT/Inf/E (2002) 1 - Rev. 2013: http://www.cpt.coe.int/en/docsstandards.htm
Communication from the Commission to the Council and the European Parliament on EU Return Policy, COM(2014) 199 final, 28 March 2014
Parliamentary Assembly of the Council of Europe, Resolution 2020 – The alternatives to immigration detention of children, 3 October 2014, point 9
FRA, Alternatives to detention for asylum seekers and people in return procedures, 2015
Report of the Special Rapporteur on torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment, Juan E. Méndez, 5 March 2015, A/HRC/28/68, §85
Report of the Special Rapporteur on the human rights of migrants, François Crépeau, 2 April 2012, A/HRC/20/24, §§ 53, 66, 68
Report of the Special Rapporteur on the human rights of migrants, François Crépeau, Regional study: management of the external borders of the European Union and its impact on the human rights of migrants, 24 April 2013, A/HRC/23/46, §§ 48 et 92
UNHCR, Beyond Detention: A Global Strategy to support governments to end the detention of asylum-seeker and refugees, 2014-2018, 2014
UNHCR, Options Paper 1: Options for governments on care arrangements and alternatives to detention for children and families, 2015
En matière de droits procéduraux :
Art. 24§2 Charte des droits fondamentaux UE
Art. 22bis Constitution belge
Conseil de l’Europe, Comité des Ministres, Lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants, 2010
CJCE C-648/11 du 6 juin 2013, §59 (le droit des enfants migrants d’être entendu)
Ordre des Médecins, Tests de détermination d’âge des mineurs étrangers non accompagnés, 20 février 2010, http://ordomedic.be/fr/avis/conseil/tests-de-determination-d-age-des-mineurs-etrangers-non-accompagnes
En matière de déplacements :
GC6, §40 : “In order to ensure continuity of care and considering the best interests of the child, change in residence for unaccompanied and separated children should be limited to instances where such change is in the best interests of the child”
GC 14, §94-95 : Cet intérêt doit être déterminé par des personnes spécialisées + « The assessment of the consequences of alternative solutions must be based on general knowledge of the likely consequences of each possible solution for the child, given his or her individual characteristics and past experience”
En matière de retour :
Return Directive 2008/115/EC
Unicef, Children’s rights in return policy and practice in Europe. A discussion paper on the return of unaccompanied and separated children to institutional reception or family, https://ec.europa.eu/anti-trafficking/sites/antitrafficking/files/childrens_rights_in_return_policy_and_practice_in_europe.pdf