Droit de l'enfant - le délégué général

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Recommandation relative à l’accès aux transports scolaires organisés par la Commission communautaire française en Région bruxelloise pour les élèves handicapés en intégration permanente totale fréquentant l’enseignement

 

Recommandation relative à l’accès aux transports scolaires organisés par la Commission communautaire française en Région bruxelloise pour les élèves handicapés en intégration permanente totale fréquentant l’enseignement Ordinaire

 

De la part de

 

Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et

le Délégué général aux droits de l’enfant

 

Adressée à

 

Monsieur le Ministre Rachid MADRANE,  Membre du Collège de la Commission Communautaire française (COCOF) chargé de la Formation professionnelle, de la Culture, du Transport scolaire, de l’Action sociale, de la Famille, du Sport et des Relations internationales

 

Copies à

 

- Monsieur C. Doulkeridis, Ministre-Président du Collège de la Commission communautaire   française

- Madame D. Simonet, Ministre de l’enseignement de la Communauté française

- Madame E. Huytebroeck, Ministre bruxellois de la politique des personnes handicapées

- Monsieur Philippe Debacker, Directeur d’Administration de Phare

 

Constats

 

Des transports scolaires sont organisés par la Commission communautaire française en Région de Bruxelles-Capitale en faveur des élèves fréquentant les écoles d’enseignement spécialisé. Ces transports sont gratuits. Les élèves qui fréquentent une école ordinaire dans le cadre d’une intégration partielle au sens du décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé peuvent également bénéficier de ces transports scolaires. En revanche, les élèves fréquentant une école ordinaire dans le cadre d’une intégration permanente totale(1) n’ont pas accès aux transports scolaires.

 

Le Centre et le DGDE ont été plusieurs fois interpellés par des familles dont les enfants handicapés suivaient leur scolarité dans une école ordinaire (en intégration permanente totale) mais à qui l’on refusait l’accès aux transports scolaires.

 

Les conséquences de ce refus d’accès sont importantes sur les processus d’intégration et d’inclusion :

- Par rapport à l’intégration des élèves en situation de handicap : le fait qu’ils ne puissent pas bénéficier des transports scolaires peut constituer un frein à leur intégration. Dans certains cas les familles y renoncent.

- Par rapport à l’inclusion des enfants en enseignement ordinaire : le Centre et le DGDE se sont positionnés clairement pour un enseignement ordinaire plus inclusif(2). Le Centre et le DGDE se réjouissent que le nombre d’intégration des élèves en situation de handicap dans l’enseignement ordinaire augmente chaque année (même si proportionnellement le taux d’élèves intégrés est peu élevé si on le compare à d’autres pays européens) . Ainsi, toute disposition constituant un obstacle à cette inclusion doit être évité. A cet égard, le Centre et le DGDE rappellent qu’un enfant peut être capable de suivre un enseignement ordinaire mais peut être incapable pour des raisons liées à ses limitations physiques, mentales ou psychologiques de prendre les transports publics ordinaires.

 

De plus, il est important de rappeler que les transports publics ordinaires ne sont pas accessibles pour certains types de handicap. En effet, la majorité des lignes de bus et de tram en Région bruxelloise sont inaccessibles, spécialement pour les personnes se déplaçant en chaise roulante. Seules 23 stations de (pré-)métro sur 94 sont accessibles à Bruxelles(3) et une seule ligne de bus sur + /- 50. Ces enfants n’ont donc pas toujours d’alternative en matière de transports en commun.

 

Enfin, il n’est pas admissible d’exiger des familles d’un enfant handicapé de l’inscrire dans l’école ordinaire la plus proche afin de réduire le trajet scolaire. Le Centre et le DGDE constatent que celles-ci se voient souvent refuser l’intégration de leur enfant pour diverses raisons (inaccessibilité de l’école, résistance de l’équipe pédagogique ou de la direction,…), les obligeant à s’éloigner de leur domicile afin de trouver une école qui accepte leur enfant.

Législations applicables

 

Au niveau du droit interne :

- Décret du 12 décembre 2008 de la Communauté française relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination

- Décret du 9 juillet 2010 de la Commission communautaire française relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination et à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement

 

En vertu des champs d’application matériels et personnels  de ces textes légaux combinés :

- aucun élève fréquentant un établissement scolaire organisé ou subventionné par  la Communauté française ne peut , en vertu du décret du 12 décembre 2012, être discriminé sur base de son handicap. De plus, il doit pouvoir bénéficier d’aménagements raisonnables afin de pouvoir suivre sa scolarité sur un pied d’égalité avec les autres élèves.

- la lutte contre les discriminations dans le cadre des transports scolaires est un domaine couvert par l’application du décret de la COCOF du 9 juillet 2010.

 

L’organisation et l’accès effectif à un  transport scolaire adapté à l’élève en situation de handicap peut être considéré comme un aménagement raisonnable : il offre à l’élève handicapé un moyen sûr et adapté de se rendre à l’école, d’autant plus que, dans bien des cas, l’alternative des transports publics n’est pas à même de répondre à ses besoins.

 

Les aménagements raisonnables sont définis dans le décret de la COCOF susmentionné comme des « mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée l’accès, la participation et la progression dans un emploi ou toute autre activité entrant dans le champ d’application du présent décret, sauf si ces mesures imposent à l’égard de la personne qui doit les adopter une charge disproportionnée ».

 

Or le règlement de la Cocof relatif aux transports scolaires(4) prive des élèves handicapés (en intégration permanente totale ) de cet aménagement raisonnable sans lequel, dans certains cas, l’élève ne pourra se rendre à l’école d’enseignement ordinaire. Le caractère raisonnable de l’aménagement doit être apprécié eu égard, notamment,  aux ressources financières de celui à qui il incombe, mais également à l’absence d’alternative existante et à l’impact de l’aménagement sur la qualité de vie d’un utilisateur handicapé(5).

 

Il est étonnant de constater que le handicap de l’enfant n’est plus pris en compte dès lors qu’il fréquente l’enseignement ordinaire.

 

En conséquence, dans la situation actuelle,  en ne permettant pas l’accès aux transports scolaires à ces enfants et en leur refusant l’aménagement raisonnable que constitue l’organisation d’un  transport scolaire adapté, la Commission communautaire française contrevient aux dispositifs légaux  anti-discrimination 

 

Au niveau des Conventions internationales :

- Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE)

Différents articles de cette convention sont clairement mis à mal par cette situation. Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant qui est une notion essentielle, mise en avant dans la CIDE en son article 3. : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

 

L’article 2, lui, protège les enfants contre toute forme de discrimination qui pourrait entraver l’application des droits reconnus par les Etats parties, entre autres du fait de leur incapacité ou de toute autre situation.

 

Dans son article 23, il est encore dit :

« 1. Les Etats parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité. (…)

3. Eu égard aux besoins particuliers des enfants handicapés, l'aide fournie conformément au paragraphe 2 du présent article est gratuite chaque fois qu'il est possible, compte tenu des ressources financières de leurs parents ou de ceux à qui l'enfant est confié, et elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l'éducation, (…) à la préparation à l'emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, (…). »

 

Il apparaît donc que les dispositions mises en place par la COCOF à l’égard des enfants en intégration permanente totale contreviennent clairement aux prescrits de la CIDE.

- Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées

La Commission communautaire française, comme l’Etat fédéral et l’ensemble des entités fédérées ont ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

 

En son article 24, le texte de la Convention se positionne clairement en faveur du principe de  l’inclusion des enfants en situation de handicap dans l’enseignement ordinaire. Cet article prévoit que « les Etats Parties veillent à ce que les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et [ …] puissent, sur base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » et qu’ « il soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun ».

 

Or les modalités d’accès imposées par la COCOF désavantagent les enfants en intégration permanente totale.

 

En effet, les modalités exclusives d’accès aux transports scolaires adaptés pour les enfants fréquentant l’enseignement spécialisé  peuvent entraîner :

-  une renonciation des familles  à inscrire leur enfant dans une école ordinaire(6).

-  des difficultés  et des désagréments pour l’enfant et sa famille obligés de s’organiser et d’assurer les trajets école-domicile. Des répercussions sur la scolarité de l’enfant et/ou la vie professionnelle des parents ne sont pas exclues.

- un coût parfois très élevé pour les familles afin d’organiser le transport de leur enfant.

 

Tous ces éléments vont à l’encontre de ce que précise l’art. 20. « Mobilité personnelle » de la Convention , qui indique quant à lui que :

« [l]es États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en :

  1. Facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable;
  2. Facilitant l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable;
  3. Dispensant aux personnes handicapées et aux personnels spécialisés qui travaillent avec elles une formation aux techniques de mobilité. »

 

En conséquence, le fait de ne pouvoir bénéficier des transports scolaires organisés par la Cocof peut constituer un frein réel à l’inclusion de ces enfants en enseignement ordinaire et ainsi être contraire aux dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

 

Recommandation

 

Afin d’encourager l’inclusion des enfants en intégration permanente totale dans l’enseignement ordinaire et de respecter les législations et les conventions internationales luttant contre les discriminations, le Centre et le Délégué général aux droits de l’enfant recommandent que des dispositions soient prises afin de permettre à ces élèves fréquentant un établissement de l’enseignement ordinaire en Région bruxelloise d’accéder aux transports scolaires organisés par la COCOF suivant les mêmes modalités que les élèves fréquentant l’enseignement spécialisé.

 

 A cette fin, sans préjudice de la mise en œuvre des recommandations émises par la Commission consultative bruxelloise du service de transport scolaire (avis n°18), le Centre et le Délégué général aux droits de l’enfant préconisent l’organisation de l’accès effectif aux transports scolaires en deux temps :

- d’une part, dans un premier temps, de proposer un accès effectif aux transports scolaires adaptés via les circuits existant et déjà organisés pour les élèves fréquentant une école de l’enseignement ordinaire située sur le trajet d’une école d’enseignement spécialisé ;

- d’autre part, dans un second temps, de proposer un accès effectif aux transports scolaires adaptés via la création de nouveaux circuits ou via la réorganisation des trajets existant après avoir réalisé un cadastre des trajets à réaliser en fonction des écoles concernées par des intégrations ;

- d’envisager des solutions plus individualisées (au cas par cas) pour les trajets difficiles à intégrer, en collaboration avec Phare.

Ce processus permettrait de garantir le caractère raisonnable de l’aménagement, compte tenu des ressources de la COCOF. Par ailleurs cet accès se limiterait bien évidemment aux élèves qui seraient dans l’incapacité d’utiliser les transports publics ordinaires.

 

Par ailleurs, les conditions d’admissibilité aux transports scolaires appliquées aux élèves fréquentant l’enseignement spécialisé devraient être adaptées à ces élèves, à savoir le principe de l’école de libre choix la plus proche du domicile de l’élève.

 

En effet, de nombreuses écoles ordinaires sont soit inaccessibles soit refusent, pour différentes raisons, l’intégration d’un élève en situation de handicap. Ainsi ces élèves ne fréquentent pas toujours l’école la plus proche mais bien l’école qui a accepté son intégration.

 

Personnes de contact

 

Pour le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme :

- Véronique Ghesquière veronique.ghesquiere(at)cntr.be – 02/212.31.46
- Nathalie Denies nathalie.denies(at)cntr.be – 02/212.30.81

 

Pour le Délégué général aux droits de l’enfant :

- Karin Van der Straeten karin.vanderstraeten(at)cfwb.be – 02/223.36.99

 

 


[1] Par intégration permanente totale, il faut entendre que l’élève poursuit toute sa scolarité dans l’enseignement ordinaire, tout en bénéficiant, en fonction de ses besoins, de la gratuité des transports entre son domicile et l’établissement d’enseignement ordinaire qu’il fréquente et d’un accompagnement assuré par l’enseignement spécialisé (art.132 §1er Décret du 3 mars 2004 de la Communauté française organisant l’enseignement spécialisé). A ce jour, on compte 112 enfants en intégration permanente totale en enseignement primaire et 102 en secondaire en Région bruxelloise.

[2] Voir le Rapport de synthèse des forums « vers un enseignement plus inclusif » (mai-juin 2011) à consulter sur le site internet du Centre www.diversite.be

[3] Voir aussi Recommandation du Centre concernant l’accessibilité et les aménagements dans les infrastructures et les équipements de la STIB (janvier 2012) à consulter sur le site internet du Centre www.diversite.be (rubrique Avis et recommandations).

[4] Circulaire ministérielle de la Commission Communautaire Française relative au transport scolaire des élèves fréquentant les établissements d’enseignement spécialisé situés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, pour l’année scolaires 2009-2010

[5] Protocole entre l’Etat fédéral et les entités fédérées relatif au concept d’aménagements raisonnables en faveur des personnes handicapées (M.B. 20/09/2007).

[6] On peut alors parler de discrimination indirecte au sens de la législation anti-discrimination :  toute disposition, tout critère ou toute pratique apparemment neutre susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l’un des critères protégés, par rapport à d’autres personnes.