Droit de l'enfant - le délégué général

Imprimer la page

Accessibilité des milieux d'acceuil dans la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le respect des principes de non-discrimination

Recommandation concernant l’accessibilité des milieux d’accueil dans la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le respect des principes de non-discrimination

Au

 

-          Ministre de l’enfance, de la recherche et de la fonction publique

-          Conseil d’administration de l’ONE

-          Administrateur général de l’ONE  

Copies

-          Ministre de l’Egalité des chances en Communauté française

-          Ministre de l’Egalité des chances en région Wallonne

-          Membre du Collège de la Commission Communautaire française en charge de l’action sociale et de la famille

-          Direction de l’Egalité des Chances du Ministère de la  Communauté française 

Auteurs

Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme

Délégué général aux droits de l’enfant de la Communauté française

Institut pour l’égalité des femmes et des hommes

Constats

 

Le Centre pour l’égalité des chances, le Délégué général aux droits de l’enfant et l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes ont été saisis de plusieurs signalements relatifs à l’accessibilité des milieux d’accueils agréés par l’ONE pour les enfants de moins de trois ans. 

 

Ces signalements concernent plus précisément :

 

-       des refus opposés par certaines directions des milieux d’accueils de prendre en compte des demandes d’inscription d’un enfant dont la mère était demandeuse d’emploi et en situation de famille monoparentale ;

-       des exclusions d’enfants des milieux d’accueil en cas de perte d’emploi d’un des deux parents ou des deux. Dans ce type de situations, certains milieux d’accueils conditionnent la continuité de l’accueil à l’obligation de retrouver un travail dans un délai imparti ;

-       des refus d’inscription dans le cas où un des deux parents est demandeur d’emploi ;

-       des refus d’inscription lorsqu’un des deux parents ou un parent isolé suit une formation à temps partiel.

 

Ces situations s’inscrivent dans le contexte d’une augmentation des familles monoparentales dans le paysage démographique belge. En effet, le nombre de familles monoparentales ne cesse de croître dans les trois régions. Ainsi, en Région bruxelloise, le nombre de ces familles est passé de 48.999 en 1991 à 69.800 en 2007, ce qui correspond à une augmentation de 30% Dans 77,5% des cas, ces familles sont constituées d’une mère seule avec ses enfants même si la proportion de pères seuls tend également à augmenter puisque celle-ci est passée, entre 1991 et 2007, de 18, 5 à 22, 5 %.

 

Si l’on compare le taux d’emploi des familles monoparentales avec celui des familles biparentales, on constate que celui des parents qui élèvent seuls leurs enfants est significativement plus bas. Les femmes seules avec enfants sont les plus fragilisées avec un taux d’emploi de seulement 50,8%, contre 62,3% pour celles qui vivent en couple.

 

Par ailleurs, l’incidence de l’âge des enfants sur la participation des familles monoparentales au marché de l’emploi est prépondérante, surtout en ce qui concerne les femmes. Cet impact est marqué davantage chez celles qui élèvent seules deux enfants ou plus. Le taux d’emploi moyen d’une famille monoparentale avec un enfant de moins de trois ans est de 42,1% et chute à seulement 26% dès lors que la famille compte deux enfants ou plus. 

 

Cela s’explique par le fait que plus l’enfant est jeune, moins les mères ont la possibilité de participer au marché du travail tout en devant faire face aux besoins de la famille, car l’accès au marché du travail est nécessairement conditionné par l’accès aux services d’accueil des enfants et donc, par l’accès aux crèches. La pénurie de structures d’accueil, qui frappe peut-être plus spécifiquement la Région bruxelloise, combinée aux refus d’accès opposés à cette catégorie de parents, accentue le phénomène décrit et induit un processus de paupérisation de cette catégorie de familles.

 

Pour appuyer ces refus, les structures d’accueil se basent sur leurs règlements d’ordre intérieur et leurs projets d’accueil. Dans ceux-ci, les structures d’accueil organisent librement leurs propres critères de priorité à l’admission et leurs propres règles d’exclusion pour autant que ce projet et ce règlement soient approuvés par l’Office de la Naissance et de l’Enfance en Communauté française (conformément au prescrit de l’Arrêté du gouvernement de la Communauté française du  27 février 2003 (art. 44, 1°d)).

 

En effet, en vertu de l’article 50 de l’arrêté précité, les milieux d’accueil peuvent refuser d’inscrire un enfant dès lors que la demande d’inscription est en opposition avec le projet d’accueil ou avec le règlement d’ordre intérieur du milieu d’accueil.

 

Si l’on combine ces deux dispositions légales, il en ressort la situation de fait suivante :

 

-       les milieux d’accueil sont libres de fixer comme critère de priorité à l’inscription, dans le règlement ou le projet d’établissement, celui qui prévoit qu’au moins un des parents de l’enfant travaille à temps plein.

-       Les milieux d’accueil sont libres de refuser une inscription si celle-ci contrevient à leur règlement ou leur projet d’établissement.

-       Par conséquent, ils seront libres de refuser la demande d’inscription d’un parent isolé sans emploi car elle  contrevient à leur règlement ou leur projet d’établissement.

 

Ils devront néanmoins tenir compte de l’exigence de l’article  55 de l’arrêté qui prévoit de réserver au moins 10 % de leur capacité totale en vue de rencontrer les besoins d'accueil résultant de situations particulières précisées dans le règlement d'ordre intérieur du milieu d'accueil dont notamment l'accueil d'enfants ayant un lien de parentalité avec un autre enfant inscrit.

 

La lecture de cet article, et spécifiquement le terme « notamment », laisse à penser que d’autres catégories d’enfants peuvent entrer dans ces places « réservées ». Dans son interprétation de l’arrêté, l’ONE y inclut ainsi :

 

-       les enfants dont les parents ont des problèmes sociaux, psychologiques ou physiques importants ;

-       les enfants dont l’accueil est proposé par un service SOS enfants ou par une décision judiciaire ;

-       les enfants confiés en adoption ;

-       ou encore les enfants dont l’accueil rentre dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

On ne peut toutefois pas faire entrer les familles monoparentales dans une de ces catégories : elles ne peuvent en effet pas être assimilées à des familles « à problèmes ».

 

Il y a donc lieu de constater que les dispositions légales elles-mêmes, telles qu’elles sont aujourd’hui formulées et interprétées, sont une des origines du problème. Elles conduisent par ailleurs à des situations de discrimination interdites par la législation.

 

Analyse juridique

Même si l’arrêté du gouvernement prévoit que l'inscription de l'enfant ne peut être refusée sur la base de discriminations sociales, sexuelles ou raciales, pour autant que les parents acceptent de souscrire au projet d'accueil et au règlement d'ordre intérieur du milieu d'accueil (article 50), les situations décrites entrent en contradiction avec les principes d’égalité et de non-discrimination dont la mise en œuvre est organisée par des textes légaux.

 

L’accès aux milieux d’accueil  entre dans la catégorie juridique de la fourniture des biens et services au public dans le cadre de laquelle le décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination prohibe toute discrimination directe et indirecte sur base de la fortune, de l’état civil et du sexe.

 

Au sens du décret de la Communauté française : «  Il y a discrimination directe quand une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne dans une situation comparable, en raison d’un des motifs protégés) et que cela ne se justifie pas ». Ou, autrement dit, toute distinction directe constitue une discrimination directe, à moins que cette distinction directe ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires.

 

La discrimination indirecte est par ailleurs la situation qui se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner, par rapport à d’autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l’un des critères protégés à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires.

 

On rappellera que l’état civil au sens du décret anti-discrimination est le fait d’être, au sens du code civil, marié, divorcé ou veuf et que, par fortune, le Centre entend le fait de disposer d'une capacité financière, quelle qu'en soit l'origine.

 

Limiter l’offre de services aux personnes qui disposent d’un emploi implique l’exclusion directe de  personnes qui disposent d’un type de ressources particulières, le chômage ou les revenus de remplacement par exemple. Cette exclusion implique également indirectement, les chiffres en témoignent, l’exclusion d’une plus grande proportion de femmes élevant seules leurs enfants (car veuves, divorcées ou séparées par exemple).

 

Les refus d’inscription peuvent donc s’analyser en discriminations directes sur la fortune et indirectes sur le sexe et l’état civil.

 

Par ailleurs, l’accès à un milieu d’accueil est un droit de l’enfant au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant et les signalements rapportés contreviennent à l’article 2 qui oblige l’Etat à protéger l’enfant contre toute forme de discrimination et à prendre des mesures positives pour favoriser le respect de ses droits, ainsi que l’article 3 qui impose que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent. L’article 18 établit que les gouvernements doivent accorder l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant et assurer la mise en place d’institutions, d’établissements et de services chargés de veiller au bien être des enfants.

La reconnaissance de ces droits a en outre été confirmée dans le troisième rapport quinquennal de la Belgique auprès du Comité des droits de l’enfant (2008). Dans ce document, les gouvernements de la Communauté française et de la Région wallonne font état des principes suivants, considérés comme acquis :

  • les milieux d'accueil doivent être régis par des principes d'égalité, de non-discrimination ;
  • l'accès à un milieu d'accueil est un droit de l'enfant qui lui permettra de s'épanouir sur les plans physique, psychologique et social selon un projet pédagogique approprié à son âge ;
  • le milieu d'accueil doit permettre aux parents de concilier leurs responsabilités professionnelles, de formation, de recherche d'emploi - bref, leur rôle social - avec leurs responsabilités parentales.

Dans ses objectifs pour l’avenir, et en réponse au constat majeur du manque de places disponibles, les autorités compétentes s’engagent à continuer à donner une priorité absolue à ce problème tout en garantissant la qualité de l’accueil offert. Celui-ci reste basé sur une approche éducative visant la diversité et la participation. Afin de préserver l’accessibilité et la diversité de l’accueil, les gouvernements s’engagent à examiner les possibilités d’améliorer la situation en favorisant le maintien et la création de structures d’accueil qui tiennent compte des revenus des parents dans le coût de l’accueil.

 

Propositions

 

1.  Quant à l’engagement des gouvernements pour améliorer l’accessibilité des structures d’accueil :

 

Le Centre, le Délégué général aux droits de l’enfant et l’Institut rappellent les engagements pris par les gouvernements régionaux et communautaires lors de leurs déclarations politiques (2009-2014) d’améliorer l’accès aux milieux d’accueil ce qui implique l’augmentation du nombre de places disponibles et la gestion équitable et efficace de l’accès aux places disponibles.

 Ils insistent également sur l’engagement qui fut pris de soutenir l’accessibilité de tous les enfants, quelle que soit la situation des parents.

 

En outre, dans son dernier plan d’action global, en matière de droits de l’enfant, le Gouvernement de la Communauté française s’engageait également à accentuer la fonction sociale de l’accueil de l’enfance et à veiller à l’accessibilité de tous les enfants, quelle que soit la situation de leurs parents, aux milieux d’accueil.

 

Le Centre, le Délégué général aux droits de l’enfant et l’Institut demandent que ces engagements soient mis en œuvre.

 

2. Quant aux modifications légales à opérer

 

Modifier l’arrêté du gouvernement du 27 février 2003

 

Afin de préciser  explicitement :

- que l’inscription de l’enfant ne peut être refusée sur la base des critères de discrimination protégés par le décret du 12 décembre 2008 ;

- que cette protection contre les discriminations ne peut être conditionnée à l’acceptation du projet ;

- que le critère chronologique est le seul critère de priorité qui peut être opposé à des familles en demande d’accueil ;

- que tout critère lié à la situation de travail du ou des  parents demandeurs doit être exclu ;

- que tout critère d’admission ou de continuité de l’accueil susceptible d’être interprété soit interdit.

 

3. Quant au contrôle des projets et règlements

 

Elargir le contrôle de l’ONE sur les règlements et projets en vue de les  rendre conformes au décret du 12 décembre 2008 et à l’arrêté du gouvernement du 27 février 2003 modifié conformément au point 1°. Dans cette perspective, l’effectivité du contrôle ne peut être réalisée que s’il s’accompagne de dispositions contraignantes.

 

4. Quant à la formation

 

Mettre en place des processus de formation à la lutte contre les discriminations, les stéréotypes et les préjugés notamment à destination :

 

- des directions de milieux d’accueil

- des conseillers pédagogiques

- des coordinateurs de milieux d’accueil

 

Références légales

 

·         Décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination.

·         Arrêté du Gouvernement de la Communauté  française du 27 février 2003.

·         Convention internationale des droits de l’enfant.

Autres

 

·           Observation générale n°7 du Comité des droits de l’enfant et relative à la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance.

·           Bilan Innocenti 8 (UNICEF) relatif à la transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant.

Personnes de contact auprès du Centre

Florence Pondeville 02 212 30 47 - florence.pondeville(at)cntr.be

Nathalie Denies  02 212 30 81 - nathalie.denies(at)cntr.be

 

Personne de contact auprès du Délégué général aux droits de l’Enfant

Karin Van der Straeten 02 223 36 99 - karin.vanderstraeten(at)cfwb.be

 

 

Personne de contact auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes

Danuta Kuzyn  02 233 49 50 - danuta.kuzyn(at)iefh.belgique.be

 

 

Le texte de la recommandation (.pdf)