Droit de l'enfant - le délégué général

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Avis sur la note d’intention de Madame la Ministre Huyttebroeck : pour une meilleure coordination des énergies et des moyens politiques qui concernent les jeunes

De manière générale, le souhait de coordonner les énergies et les moyens à destination des publics jeunes est apprécié. Nous estimons encore et toujours que les questions d’éducation et d’enseignement ressortent exclusivement des matières personnalisables et, qu’à ce titre, il conviendrait qu’elles soient entièrement gérées par les Communautés. On sait hélas, que depuis le début des années 90, ces compétences ont été progressivement grappillées et partagées  entre différents niveaux de pouvoir en raison essentiellement d’impératifs - largement contestables ! - en matière de sécurité et de création d’emplois. Le morcellement de ces questions, que tout le monde s’accorde à reconnaître prioritaires, entre des dispositifs répondant à des logiques d’intervention, d’éthique ou de déontologie toutes différentes, provoque des dégâts considérables dont les jeunes, et particulièrement les plus précarisés, sont les premières victimes.

Nous avons, à plusieurs reprises, dénoncer l’absence d’une politique sociale forte et cohérente dirigée vers les publics jeunes et la multiplication d’expériences « sauvages » qui concourent largement à la perte de confiance des jeunes vis-à-vis des intervenants sociaux. Cette absence de cohérence entre dispositifs dépendant de différents niveaux de pouvoir est encore renforcée par la pauvreté des liens et des coordinations existant au sein même de la Communauté française. Assurer de meilleures collaborations et de  meilleures complémentarités entre des dispositifs agréés, reconnus et/ou soutenus constituerait certainement une avancée considérable pour la Communauté française, la renforcerait vis-à-vis des autres niveaux de pouvoirs et lui permettrait de mieux revendiquer ses compétences et son leadership sur les questions enfance-jeunesse.

Concernant les objectifs-cadre repris dans la note :

De manière générale encore, on trouvera difficilement d’âpres détracteurs de ces objectifs tant ils paraissent être « de bon sens ». L’adhésion des personnes engagées dans les divers dispositifs ne sera assurée que si - et seulement si - ces objectifs ouvrent à des déclinaisons concrètes, réalistes et explicites.


Objectif 1
 : Soutenir la capacité d’action et d’engagement solidaire des jeunes

Placé en avant des objectifs-cadre, celui-ci est effectivement prioritaire. Seul l’engagement  concret des jeunes au bénéfice de la société peut lutter efficacement contre les logiques sécuritaires. Celles-ci visent essentiellement à occuper et contrôler ceux que l’absence de projet (ou l’incapacité d’en formuler) transforment en « inutiles sociaux ». L’enjeu aujourd’hui est de rendre cette capacité d’engagement accessible à toutes et à tous. En effet,  plus on descend dans l’échelle d’aisance économique, moins les offres de solidarité et de citoyenneté sont présentes ! La promotion du volontariat et de l’engagement solidaire doit donc viser prioritairement, sans stigmatisation outrancière, les jeunes des classes populaires. Afin d’éviter de répéter des inégalités, une réflexion approfondie quant aux incitants (y compris financiers) doit impérativement  faire partie intégrante de la réflexion globale sur la mise en place de dispositifs permettant l’accueil de ces jeunes volontaires. Les projets de service citoyen peuvent se concevoir sans engagement volontaire : ceci implique qu’il ne puisse y avoir aucune obligation en la matière.

Concernant l’éducation et l’appropriation critique des (nouveaux) médias : celle-ci passe souvent par la « pratique » du discours médiatique. De nombreuses organisations de jeunesse ou maisons de jeunes ont ainsi développé des ateliers médias essentiellement basés sur l’outil vidéo. Pour permettre un encadrement optimal et la production de contenus de qualité permettant notamment de valoriser leurs  jeunes auteurs par des diffusions multiples (y compris sur des médias régionaux ou nationaux), nous suggérons l’implantation de « centres de référence médias » selon des modalités géographiques à convenir. L’initiation aux médias, tant sur le fond que la forme, ne peut se construire valablement sans le concours de professionnels spécialisés. La professionnalisation devrait également permettre de produire des contenus permettant de rencontrer l’objectif d’assurer une meilleure image des jeunes comme suggéré au point 2 du plan.

La question de la participation des jeunes est également centrale. Encore faut-il que l’effort entrepris par la Communauté française dans les différents lieux de vie des jeunes (dont l’école et les lieux de placement) ne se limite pas exclusivement à la valorisation de la participation  des jeunes autour de questions de jeunesse. L’enjeu de la participation est bien l’appréhension progressive et continue de toutes les questions de société et non pas seulement celles qui les concernent directement.

Objectif 2 : Reconnaître la diversité des compétences des jeunes et les valoriser

L’idée de valoriser l’expérience informelle et de la coupler avec l’éducation formelle est appréciée.

Par contre, nous nous étonnons et regrettons singulièrement le manque d’ambition paradoxal au sujet de l’enseignement. Si la revalorisation de l’enseignement technique et professionnel est un chantier important, il ne sera valablement entrepris que dans le cadre d’une réforme plus fondamentale de l’enseignement, dès la maternelle. Faire de la revalorisation de l’enseignement technique et professionnel un objectif prioritaire pourrait constituer un fort mauvais signal : celui-ci pourrait laisser penser qu’il suffirait de revaloriser ces types d’enseignement (en augmentant notamment les passerelles avec des expériences professionnelles et sociales) pour diminuer l’impact des inégalités sociales qui se jouent à l’école. Nous considérons que le système scolaire tel qu’il est conçu, induit des orientations précoces, injustifiées et déraisonnables à tous les stades  de la scolarité des enfants et des jeunes. La revalorisation des sections techniques et professionnelles ne pourra se faire réellement que, lorsqu’au terme d’un tronc commun associant les matières intellectuelles, techniques, professionnelles et artistiques, celles-ci seront librement choisies par les élèves.

Accroître le potentiel de nouveaux apprentissages en encourageant la mobilité nationale et internationale de tous les jeunes est une idée intéressante.

Aujourd’hui la mobilité (ou son absence) constitue trop souvent un élément constitutif des inégalités sociales qui touchent les jeunes. Elle reste aujourd’hui l’apanage quasi-exclusif des jeunes des classes sociales les plus aisées. Ouvrir cette exceptionnelle ouverture aux jeunes des classes populaires exigera, sans conteste, des moyens  importants, non seulement en termes financiers mais aussi en termes de sensibilisation et d’ information pour convaincre les jeunes les moins favorisés de s’adonner à cette mobilité dont ils ne perçoivent pas toujours l’intérêt et dans laquelle ils se projettent avec difficulté. Si les moyens investis ne sont pas suffisants, il y a fort à parier qu’ils seront captés par les jeunes les plus volontaires et les plus habiles, alors que ces derniers peuvent souvent disposer de moyens nécessaires à leur mobilité, nationale ou internationale, grâce à l’appui de leur famille ou de leur entourage. A terme, le risque existe donc que de nouveaux moyens destinés à la mobilité de tous les jeunes ne bénéficient finalement qu’aux jeunes déjà mobiles et renforcent encore la dualisation de notre jeunesse.


Objectif 3
 : Prévenir l’impact des inégalités socioéconomiques sur le parcours des jeunes

Le plan aborde utilement la question de la prévention générale et pointe la montée en puissance de la logique purement occupationnelle de multiples dispositifs d’orientation sécuritaire. Nous plaidons depuis longtemps pour que le concept de prévention générale soit un concept partagé par l’ensemble des acteurs éducatifs de la Communauté française.

Il n’est ni raisonnable, ni efficace, qu’un concept aussi large soit finalement « accaparé » par le seul secteur de  l’Aide à la Jeunesse. S’il va de soi que le secteur de l’Aide à la Jeunesse doit tenir un rôle important dans le cadre préventif, son action spécifique en tant qu’organisateur de services d’aide sociale spécialisée devrait recouvrir principalement la part la plus spécialisée de prévention générale. Sans vouloir prôner le retour à une classification rigide, on doit reconnaître que la prévention peut schématiquement  se décliner sur trois niveaux : la prévention primaire dont l'action entend sensibiliser l'individu aux avantages du bien-être ou aux risques de certains comportements avant qu'ils n'existent ; la prévention secondaire qui entend enrayer un processus ou l'aggravation d'une situation déjà détériorée ; la prévention tertiaire qui cherche à éviter un ancrage ou une rechute. Il est donc bon qu’un plan de prévention générale traverse ces différents niveaux mais il est également important que chaque acteur de la Communauté française puisse se situer dans ce plan pour faire jouer pleinement les synergies et les complémentarités. 

Ainsi par exemple, l’école, les organisations et mouvements de jeunesse interviendront sans doute majoritairement dans le cadre d’une prévention primaire alors que les services de l’Aide à la Jeunesse interviendront plutôt dans le cadre des formes secondaire ou tertiaire. Tout l’enjeu du partage du concept de prévention générale entre différents acteurs réside, selon nous, dans la bonne gestion des zones de recouvrement. Alors que la logique classique de la gestion de la prévention  veut que l’on cherche à diminuer l’ampleur de ces zones, nous pensons que l’intérêt des jeunes et le respect des travailleurs passent par l’acceptation et l’intégration dans les dispositifs sociaux du « flou » et du « flottement »  généré par les limites des différents acteurs. L’analyse des histoires de nombreux jeunes indiquent combien les transitions (d’un dispositif à un autre notamment) sont prépondérantes dans leurs parcours. Ces transitions seront d’autant mieux vécues que les professionnels en relation avec ces jeunes partageront une finalité claire et explicite et ne se limiteront pas, comme souvent, à des accords sur des modalités ou des moyens d’action.


Objectif 4
 : Accompagner les jeunes dans leur choix d’orientation scolaire et professionnel

Pas de commentaire spécifique. Toutefois, l’objectif louable concernant l’information et l’orientation des élèves ne doit pas occulter d’autres enjeux prépondérants comme celui de l’instauration d’un tronc commun jusqu’à 16 ans. Le tronc commun jusqu’à 14 ans, repris dans la DPC n’est toujours pas d’application…


Objectif 5
 : Favoriser et sécuriser la transition des jeunes vers l’âge adulte, leur accès à l’indépendance financière et résidentielle

Pas de commentaire, mais apprécié…


Objectif 6
 : Positionner les politiques de jeunesse au sein des ambitions du développement durable

Pas de commentaire, mais apprécié…


Objectif 7
 : Prendre en considération les spécificités du milieu de vie des jeunes et mobiliser les acteurs au niveau territorial le plus adéquat

La question de la territorialisation de l’action sociale est importante. Petite, l’échelle territoriale facilite l’information, la communication et la participation des citoyens, revers de la médaille, elle induit également des logiques de ghettoïsation et de ségrégation ; Grande, l’échelle gomme les particularismes locaux, décourage la participation mais défend mieux l’égalité !

La fragmentation dénoncée et l’absence de cohérence des politiques en matière de jeunesse sont notamment liées au fait que, dépendant de niveaux de pouvoirs différents, les dispositifs se déploient sur des territoires eux-mêmes différents. Selon nous, il appartient exclusivement aux communautés de déterminer les axes et la philosophie d’intervention concernant les matières personnalisables (dont jeunesse et aide à la jeunesse). Si d’autres niveaux de pouvoir souhaitent concourir à l’effort éducatif, ce ne peut être qu’en s’alignant sur les lignes de conduite définies par les Communautés. C’est loin d’être le cas aujourd’hui : plutôt que s’aligner sur la philosophie et l’idéologie définies par la Communauté française, de nombreuses initiatives organisées par d’autres niveaux de pouvoir développent des ambitions et des finalités contradictoires. Les conventions tacites ou officielles entre ces initiatives et le réseau des services de la Communauté française se réduisent drastiquement à des accords quant aux moyens et aux  modalités d’action (dont un code de déontologie). De la sorte, des initiatives servant des causes très différentes apparaissent, sur le terrain, fort semblables et provoquent de nombreux malentendus menant eux-mêmes à une perte générale de confiance vis-à-vis de l’ensemble des intervenants éducatifs. 

Ce plan, rendu plus explicite et plus concret, pourrait ainsi remplir un double objectif : rassembler les compétences et les énergies disponibles au sein des dispositifs dépendant directement de la Communauté française, revendiquer le leadership de la Communauté sur les matières « jeunesse » ou, par défaut, baliser les conditions de collaboration avec les diverses initiatives développées par les autres niveaux de pouvoir.

 

Bernard De Vos
Délégué général aux droits de l’enfant