Droit de l'enfant - le délégué général

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L'enfermement

Depuis près de 30 ans, les dénonciations du manque de place en régime fermé sont récurrentes et l’augmentation de la capacité institutionnelle en régime fermé est systématiquement la réponse qui est apportée.

Depuis les années 80, nous connaissons en effet en Communauté française un mouvement d’extension continu des capacités d’enfermement : de 10 places en 1981 à 86 places en 2008. Pourtant les données enregistrées par les recherches récentes ne montrent pas une augmentation de la délinquance des mineurs. Au contraire, selon les observations de l’Institut national de criminologie et de criminalistique, les signalements de mineurs aux parquets de la jeunesse pour des faits qualifiés infractions ont plutôt tendance à diminuer au regard des années 80[1].

Malgré l’augmentation de la capacité, les centres fonctionnent à pleine capacité et, les règles administratives empêchant la surpopulation, le nombre de refus d’admission pour manque de place est pléthorique. Les listes d’attente sont aujourd’hui égales à la capacité globale de placement des institutions publiques et la recherche de places disponibles constitue une charge de travail supplémentaire et une source d’anxiété pour les magistrats[2]

On peut poser l’hypothèse que ce problème s’avère être, pour une part importante, un problème de placements inadéquats et de désorganisation des prises en charge : un type de régime est parfois décidé par un juge sur base de la place disponible. Cette question renvoie à l’absence d’une politique concertée de gestion de l’offre et de la demande en places fermées, des logiques gérées par des niveaux de compétences différents.

En pratique, la logique de subsidiarité recommandée par les instruments juridiques internationaux à propos du placement n’est pas toujours respectée en Belgique et ceci participe sans doute à la construction d’un « problème de manque de places » qui préoccupe les magistrats, les politiques, les médias et l’opinion publique. Ce fait social est devenu un véritable problème public et jusqu’à présent, les réponses à la désorganisation et à la saturation ont surtout consisté en une politique d’investissement dans les murs, la création de places supplémentaires, lesquelles ont été rapidement saturées sans effet sur l’engorgement, malgré la rotation plus intensive des jeunes et le suivi post-institutionnel en développement.

Par ailleurs, comment expliquer que plus de la moitié des jeunes placés en milieu fermé le sont pour un premier fait ?[3]

La réalité est telle que, même si les délinquants ne constituent qu'une infime minorité de la jeunesse, il est illusoire de chercher à régler par l'enfermement une large question de société. Outre qu'il paraît couru d'avance, qu'une fois ouvertes, les nouvelles places seront prises d'assaut ouvrant ainsi l'opportunité médiatique à quelques magistrats d'en réclamer d'autres encore, le « prisme des places » qui constitue désormais le seul angle d'approche des problématiques de jeunesse est à la fois absurde et dangereux. Des places, il en manque partout: pas assez de places en crèche, pas assez de lits dans des structures d'hébergement, pas assez de possibilités offertes pour suivre des familles en difficulté, pas assez de guidance pour des familles d'accueil, pas assez de moyens pour une prévention de qualité.

L’enfermement répond à une première intention : assurer la sécurité de la société. Pourtant, on le sait, l’enfermement, même à visée éducative, ne constitue pas une réponse adéquate à cette préoccupation notamment parce que la prison n’améliore que très rarement le profil de ceux qui y sont soumis. La prison ne guérit pas, ne soigne pas, ne dissuade pas.

U. Gatti, criminologue italien, qui a travaillé sur la délinquance des mineurs, démontre que l’intervention judiciaire faite sur des mineurs est contreproductive.[4]A profil égal, c’est-à-dire même origine sociale, même dynamique familiale, même parcours scolaire, même type de délits, des jeunes qui n’ont fait l’objet d’aucune intervention judiciaire s’en sortent mieux que ceux qui ont subi une intervention judiciaire. Par ailleurs, être confronté à la justice des mineurs augmente le risque par 8 de se retrouver dans le système pénal pour adultes. Dès lors, lorsque le politique investit ses budgets en fin de parcours, en créant des places supplémentaires en IPPJ, en centre fédéral fermé, au lieu d’investir en début de parcours en refinançant l’enseignement, la culture, la prévention générale, c’est un choix politique qui, selon nous, n’est pas efficace.

Le Délégué général recommande, avec la plus grande fermeté, de renoncer à une politique d’enfermement. Ceci implique qu’en concertation avec les Communautés, le recours à des mesures de maintien dans le milieu familial et social, avec un accompagnement si nécessaire intensif, puisse devenir la priorité et pas uniquement au niveau des discours.

Enfermer n’a jamais été une solution, que ce soit pour les adultes et moins encore pour les mineurs, en pleine construction identitaire. Enfermer un jeune de 16 ans pendant de longues périodes se révèle souvent inefficace voire contreproductif. Lui demander, par la suite, de se réinsérer dans la société est particulièrement délicat. La question se limite à poser des choix : quand convient-il d’investir fortement dans la prévention générale, dans les aides en milieux ouverts, dans le soutien à la parentalité ou, en bout de course, dans la création de places fermées dont on sait qu’elles sont principalement occupées par des filles et des garçons issus de familles précarisées et qui n’ont pas profiter pleinement de l’offre éducative et préventive ?

Pour enrayer le recours de plus en plus important à l’enfermement et renverser cette tendance en privilégiant des mesures alternatives, divers acteurs des secteurs de la jeunesse, de l’aide à la jeunesse, du monde académique et des droits de l’enfant, francophones et néérlandophones, ont constitué un groupe afin de réfléchir à des actions et stratégies communes. Le Délégué général est associé à cette réflexion.

 

 


[1] Vanneste Ch. La statistique « nouvelle » des parquets de la jeunesse sous l’éclairage d’autres types d’indicateurs. Exercice de contextualisation, in Vanneste Ch., Goedseels E. et Detry I. (éd.), La statistique « nouvelle » des parquets de la jeunesse : regards croisés autour d’une première analyse, Actes de la journée d’étude du 23 octobre 2007, Academia Press, 2008, à paraître.

[2] C. Adam, D. De Fraene, A. Jaspart, S. Van Praet, « Enfermement des mineurs poursuivis pour ‘agression sexuelle sur mineur’ : une analyse croisée des modes de connaissance dans le traitement d’une catégorie émergeante. », in Déviance et société, 2009

[3] Recherche effectuée par J. Christiaens à la VUB.

[4] Intervention d’U. Gatti sur « la théorie de l’étiquetage et la délinquance juvénile : les effets à long terme du système de justice pénale pour les jeunes au Canada », atelier n°3 : réformes institutionnelles : paradoxes, impasses et compromis, 16ème conférence de l’Association internationale de recherche en criminologie juvénile, Paris, 8-11 mars 2006