Droit de l'enfant - le délégué général

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Rapport annuel 2005-2006

couverture du rapport. Photo couleur d'un enfant qui se cache derrière un mur. Seule une partie du visage apparaît.
15 ans d’exercice : des milliers d’enfants concernés

L’année passée, nous soulignions, au niveau du nombre de saisines de situation individuelle d’enfants, un léger tassement par rapport aux années précédentes.

Pour cette quinzième année d’exercice, il faut relever une augmentation significative du nombre global de dossiers (1679 contre 1287 pour l’année précédente, soit plus 30 %. En outre, le nombre de nouvelles saisines connaît lui une véritable explosion puisqu’il passe à 1248, pour 849 l’année passée, soit plus 46 %.

Nous émettons l’hypothèse que l’affaire de Stacy et Nathalie, largement médiatisée et particulièrement sordide, et l’agression mortelle de Joe, adolescent, ne sont pas étrangères à l’augmentation importante des nouveaux dossiers.

Nous pensons aussi pouvoir dire que l’arrivée de Jean-Denis Lejeune dans l’équipe du Délégué général aux droits de l’enfant et son implication effective dans l’exercice de sa mission de communication et de réalisation de projets ont contribué à accroître encore la visibilité de l’institution de défense des droits et des intérêts des enfants. Sans compter également l’impact de crédibilité que Jean-Denis Lejeune a provoqué en rejoignant de sa propre initiative l’équipe du Délégué général.

Au niveau des problématiques rencontrées dans les situations individuelles, deux grands domaines se détachent, comme d’habitude : celles relatives à la maltraitance des enfants (715 situations, soit 35.3%) ainsi que celles résultant de la séparation ou du divorce des parents (571 situations, soit 28,1%). Par ordre d'importance, vient ensuite la problématique de la mesure de placement (233 situations, soit 11,5%) ou, autrement dit, celle relative principalement au retrait de l'enfant de son milieu familial

Ce qui continue à préoccuper le plus, c’est donc incontestablement la maltraitance physique et psychologique, que subissent nombre d’enfants de parents séparés ou divorcés. Ces enfants, parfois très jeunes, expriment une souffrance tout à fait visible lors des entretiens individuels et restent démunis face au conflit parental passionnel qui perdure souvent depuis des années. La Justice elle-même se révèle impuissante face à nombre de ces conflits.  La problématique de la séparation parentale et ses conséquences sur les enfants devraient être une priorité pour nos gouvernants, à tous les niveaux de pouvoirs.

Il y a aussi des problématiques générales qui ne concernent pas tel ou tel enfant nommément cité, mais qui posent question : l’enfermement des mineurs en situation illégale non accompagnés ou accompagnés de leurs parents, la place d’Everberg dans le système de la protection de la jeunesse, le manque de possibilités de prises en charge dans l’urgence pour les conseillers de l’aide à la jeunesse, les juges de la jeunesse et les directeurs de l’aide à la jeunesse…

Aujourd’hui, un sentiment s’impose : la médiation est une pratique qui se développe de plus en plus, principalement dans le domaine des affaires familiales. Mais les médiations ne concernent pas uniquement les pères, les mères et les enfants, voire les grands-parents. Elles impliquent de plus en plus souvent les autorités administratives et judiciaires concernées par l’application d’une mesure. A cet égard, il est parfois plus difficile de convaincre une autorité que les parties de ne pas se montrer rigide ou obstinée. Sans doute parce qu’on touche ici à une instance qui possède le pouvoir. La personne qui l’assume craint parfois de perdre la face ou sa légitimité, en modifiant son point de vue et donc sa décision.

Pourtant, on se grandit souvent en étant capable de remettre en question une décision qu’on croyait, en toute bonne foi, la meilleure possible pour l’enfant. Si on aborde la difficulté en mettant au centre de la question et des préoccupations l’intérêt supérieur de cet enfant-là, celui qui nous occupe, la réforme d’une décision ou de son application s’avère plus aisée.

Mais parfois, l’autorité est intransigeante, faisant passer au premier plan sa susceptibilité et son amour propre. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, qu’une ou des parties, soit se braquent davantage - et le conflit peut alors prendre des proportions bien plus dangereuses encore pour l’enfant, soit trouvent un artifice pour quitter le champ de compétences de l’autorité, ce qui n’arrange pas forcément les choses.

Il n’y a pas que les particuliers, adultes ou enfants, qui saisissent le Délégué général aux droits de l’enfant. L’exercice 2005-2006 a encore vu des Conseillers de l’aide à la jeunesse, des Directeurs de l’aide à la jeunesse, des autorités judiciaires, la Ministre de l’Aide à la jeunesse… s’adresser au Délégué général en vue d’une intervention. Parfois, l’autorité espère que l’institution parviendra à mettre de l’huile dans les rouages d’une coordination qui peine à se mettre en place. Le plus souvent, il s’agit d’entreprendre une médiation.

Il s’agit le plus souvent de dossiers complètement bloqués dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation ou de situations pour lesquelles l’autorité ne parvient pas à trouver, sur le terrain de l’aide ou de la protection de la jeunesse, le service adéquat. Il s’agit aussi parfois de faire appel à une autorité morale reconnue en vue de calmer le jeu et de redistribuer les cartes dans un climat apaisé.

Des difficultés se présentent exceptionnellement. D’une part, des autorités ont tendance à croire à une obligation de résultat. D’autre part, certaines d’entre elles acceptent difficilement un partage de compétences ou la remise en cause de leurs méthodes, parfois critiquables aux yeux de l’institution de défense des droits de l’enfant.


Des services, des autorités et des normes mises en cause

Les dossiers mettant en cause un service, une autorité ou une norme sont, de manière préoccupante, constants depuis plusieurs années : le fonctionnement de la justice, les délais et les contenus des expertises, l’organisation de l’aide et de la protection de la jeunesse, la prise en charge d’enfants dans le secteur de la santé et plus particulièrement en santé mentale…

Le secteur de l’aide et de la protection de la jeunesse connaît quelques difficultés et non des moindres : les Conseillers et Directeurs de l’aide à la jeunesse se plaignent de ne pas avoir suffisamment de collaborateurs et de services spécialisés à même de prendre en charge les enfants dont ils s’occupent ; les magistrats réclament plus de moyens de la part de la Communauté française pour mieux s’occuper de la jeunesse délinquante ; les particuliers, bénéficiaires de l’aide, dénoncent les lenteurs ou l’inadéquation des interventions… bref, le malaise s’amplifie et pèse de plus en plus.


Des actions qui concernent et impliquent les enfants

Cette année, grâce à l’appui de la nouvelle cellule de la communication et des projets, de nombreuses actions ont été menées au bénéfice des enfants.

Par les actions qui ont été proposées à des enfants en difficulté, on retiendra notamment : l’exposition Astérix, les enfants font la foire, le spectacle Alegria du Cirque du Soleil, les places pour les matchs de tennis de table de « la Villette », l’exhibition de basket « All stars »…

Au niveau des actions de sensibilisation aux droits de l’enfant qui impliquent leur participation, différentes campagnes ont été menées telles que l’opération « Si j’avais une fleur magique », celle à partir du CD « MP-Droits »  pour les adolescents, celle à partir du DVD « la flûte de pan géante » relative aux droits de l’enfant dans les pays du Tiers-Monde, celle relative au 103 du service « Ecoute-Enfants », le concours de calligraphie sur les droits de l’enfant…

Enfin, on notera aussi cette année, les actions à caractère philanthropique menées avec le Bénin et qui ont impliqué des jeunes de l’IPPJ de Wauthier-Braine dans la construction d’un orphelinat ainsi que d’autres jeunes du secteur de l’aide à la jeunesse pour l’acheminement de matériel au bénéfice d’un hôpital soignant des enfants atteints de l’ulcère du Buruli.


Recommandations

Depuis quinze ans, de multiples recommandations ont été formulées par le Délégué général aux droits de dans des domaines aussi divers que :

- La lutte contre la maltraitance et les abus sexuels dont sont victimes les enfants
- L’aide et protection de la jeunesse
- La problématique des mineurs d’âge candidats réfugiés politiques non accompagnés et des mineurs d’âge étrangers en situation illégale
- Les affaires familiales, dont les rapts parentaux
- Le maintien des relations personnelles entre les enfants et leurs parents détenus
- Les droits de l’enfant hospitalisé 

Dans notre rapport d’activités 2004-2005, nous avions mentionné quelques bonnes initiatives et quelques intentions louables. On peut se pencher à présent sur leur concrétisation éventuelle et sur les difficultés qui subsistent ainsi que sur certaines questions restent toujours d’actualité.

 
Le droit familial

La nouvelle loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et réglementant l’exécution forcée en matière d’hébergement d’enfant, publiée au Moniteur belge le 3 septembre, fait de l’hébergement égalitaire, anciennement appelé hébergement alterné, une priorité. Par ailleurs, en cette matière, le législateur a manifestement exprimé sa volonté d’encourager la médiation comme règlement de conflits. 

Je crains cependant que cette réforme des affaires familiales, qui préconise le modèle de la garde alternée égalitaire, ne règle pas la question de la gestion des conflits entre parents séparés. Même si l’intention est louable et honorable en ce qu’elle veut changer les mentalités et reconnaître le principe de l’égalité de l’homme et de la femme dans l’éducation de leurs enfants, le risque de dérive au détriment de l’enfant est évident. Nous pouvons prédire que si des magistrats n’ont pas intégré une véritable culture des droits de l’enfant, c’est-à-dire de faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant sur toute autre considération, on glissera vers un effet pervers redoutable dans l’application de la nouvelle loi : l’enfant sera un objet, partagé de la manière la plus équitable qui soit entre un père et une mère, placés sur un strict pied d’égalité. Car ce qui fait peur dans ce contexte, c’est l’article de la loi qui permet à une des parties de recourir à la force si un enfant refuse d’exercer son droit aux relations personnelles avec son père ou avec sa mère.

Nous avons assez d’expérience sur le terrain pour prévoir une multiplication de recours à cet article dont l’application risque d’être particulièrement violente pour les enfants.

L’exécution forcée d’une décision judiciaire en rapport avec la garde du mineur pose une autre question : la reprise de force de l’enfant ne va-t-elle pas être principalement dirigée vers les jeunes enfants qui ne peuvent autant se rebeller que les adolescents ? 

Des exemples récents démontrent que le recours à la force musclée ne règle en rien le rétablissement des liens. On n’oblige pas un enfant à aimer. Tout au plus, peut-on l’obliger à se soumettre et à faire semblant.

Ceux qui croient qu’on peut « décontaminer » un enfant de l’affection qu’il porte à un de ses parents et à certains membres de sa famille se trompent. On ne peut faire un « lavage de cerveau » du cœur. Les relations humaines authentiques ne s’établissent pas sous la menace du fouet mais à partir du rétablissement patient de vrais contacts humains.

Je crains donc que des pères et des mères tentent d’exercer leurs droits aux relations personnelles par la force et que les forces de l’ordre agissent alors sur mandat judiciaire. Si, en plus, les médias sont impliqués dans ces affaires, comme c’est déjà le cas à l’heure actuelle, et interviennent avec photos et reportages TV pris sur le vif, je laisse au lecteur le soin d’apprécier les dégâts sur les enfants.

En cette matière, le Délégué général continue à plaider pour l’établissement d’un tribunal des familles, c’est-à-dire une réorganisation des compétences judiciaires concernant la situation de familles ayant un ou plusieurs enfants mineurs. Cette réorganisation des compétences judiciaires permettrait sans aucun doute d’offrir une infrastructure sociale plus efficace et un moyen sans doute pertinent pour traiter la situation des enfants touchés par la séparation ou le divorce de leurs parents.

En matière familiale, il convient aussi d’évoquer la question des rapts parentaux internationaux. Si la mise en place du point de contact fédéral « enlèvement international d’enfants » constitue sans conteste une avancée, il n’en reste pas moins qu’en cette matière la pratique de la médiation devrait aussi pouvoir s’appuyer sur des structures spécifiques. Rappelons donc que nous recommandions voici plusieurs années déjà la création de médiateurs internationaux pour ces situations.


La lutte contre la délinquance juvénile

La loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait a été adoptée par le Parlement en date du 15 mai 2006.

Le 29 septembre 2006, un arrêté royal a fixé la date d’entrée en vigueur d’une partie des modifications apportées par les lois des 15 mai et 13 juin 2006 modifiant la législation relative à la protection de la jeunesse et à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction.

La loi va donc entrer progressivement en application à partir du 16 octobre 2006 et la Communauté française sera tenue d’y participer en raison de ses compétences en la matière.

Chacun se souvient en outre qu’au lendemain de la sortie à un match de football, d’un mineur, soupçonné de complicité dans le meurtre d’un jeune, le régime des sorties des sections fermées des IPPJ avait été mis en cause. Suite à cette situation largement médiatisée, les autorités politiques, tant fédérales que de la Communauté française, ont estimé utile d’envisager la modification de ce régime de sortie. Si une meilleure concertation entre les autorités judiciaires et les IPPJ peut effectivement être prônée et mise en place, il convient toutefois de se préserver de toute velléité purement sécuritaire qui viderait le système de protection de la jeunesse de sa visée éducative.


L’aide à la jeunesse

Les carrefours de l’aide à la jeunesse ont permis l’échange d’expériences et de réflexions quant à l’avenir du décret. Ils ont abouti à la publication d’un rapport de synthèse suivi par l’adoption par le Gouvernement de la Communauté française d’un Plan pour l’Aide à la jeunesse en Communauté française intitulé « Précocité, adéquation et cohérence : l’Aide à la jeunesse de demain ». 

Dans la foulée, la Ministre de l’Aide à la jeunesse a mis sur pied des groupes de travail chargés de préparer tant la réforme de l’aide à la jeunesse que la mise en application de la réforme de la loi relative à la protection de la jeunesse.

Le parcours du combattant peut commencer : concertation avec les pouvoirs organisateurs et les syndicats, rédaction des arrêtés nécessaires, avis du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse, avis du Conseil d’Etat, accord du Gouvernement, passage devant la commission d’agrément…, tout cela sans compter sur les éventuelles modifications législatives demandant l’implication du Gouvernement, du Parlement et du Conseil d’Etat.

 
L’adoption

Le système de l’adoption a été réaménagé, tant au niveau fédéral que communautaire. Les textes légaux ont été publiés et la réforme se met en place.

Le Délégué général est évidemment attentif à l’évolution de ces nouvelles pratiques sociales qui concernent les enfants adoptifs. Dans l’état actuel, il est peut-être prématuré d’évaluer la pratique du nouveau décret. Il se met en place et certains retards au niveau du traitement des situations ont été dénoncés. D’aucuns émettent des critiques concernant la qualité des formateurs pour la phase de préparation, les outils théoriques utilisés ou encore la lenteur des procédures. Notre institution entend bien suivre ce dossier et, s’il échet, interpellera les différentes autorités compétentes sur les manquements et difficultés dans la mise en œuvre de cette nouvelle législation.

Enfin, la loi du 18 mai 1996 modifiant certaines dispositions du code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe a été publiée le 20 juin 2006 au Moniteur belge. Elle renforce la cohérence entre nos règles de droit. En autorisant le mariage entre personnes de même sexe (loi du 13 février 2003 ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du code civil, publiée le 28 février 2003 au Moniteur belge), le législateur a clairement montré sa volonté de mettre les couples hétérosexuels et homosexuels sur un pied d’égalité, comme il l’avait fait auparavant pour les couples mariés et ceux qui vivent en concubinage.


Les mineurs étrangers non accompagnés

En ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés, la loi sur les tutelles est entrée en application en mai 2004.  Selon nos informations, le nombre de tuteurs pour entourer ces mineurs est à présent suffisant. Par contre, de nombreux mineurs étrangers non accompagnés ne peuvent pas être mis sous tutelle en raison de leur fuite. On peut dès lors s’interroger sur la destination et sur l’avenir de ces mineurs disparus.

Si on peut se réjouir du fait que le Conseil des Ministres a approuvé l’amendement au projet de loi sur l’accueil des demandeurs d’asile visant à mettre fin à l’enfermement des mineurs étrangers non accompagnés, il va falloir rester attentif quant à l’approbation de ce projet de loi à la Chambre et quant à sa mise en application.

On peut aussi être satisfait du lancement par le Ministre de l’Intérieur de l’étude sur les alternatives à la détention des familles avec enfants dans les centres fermés. Reste à voir ce que donneront les résultats de cette étude. 


Les enfants hospitalisés

A l’initiative du Comité consultatif du Délégué général, une Commission des droits de l’enfant hospitalisé avait été créée en février 2002 et avait formulé des recommandations en mai 2003.

Des recommandations finales, sous la forme d’une analyse en profondeur de la charte de Leyden et de ses commentaires ainsi que la façon dont cette charte est appliquée dans notre pays, ont été déposées cette année.

Parmi les points essentiels qui restent particulièrement déficients et qui nécessiteraient donc une évolution rapide, on retiendra : le droit des enfants à bénéficier d’une présence à leurs côtés, le fait que les besoins spécifiques des adolescents ne sont que très rarement rencontrés, les lacunes dans la prise en charge de la douleur qui est encore parfois mal identifiée et dont le coût est totalement inacceptable, l’absence d’attention particulière accordée aux parents « psychologiquement démunis et vulnérables »...


Conclusions 

Dans notre pays, 2006 aura été une année triste et pénible en raison de faits divers particulièrement sordides.

L’agression d’un adolescent à la gare centrale a montré que la délinquance juvénile n’était pas constituée que de la « petite » délinquance, mais qu’elle pouvait faire l’objet de passages à l’acte d’une extrême violence.

La mort dramatique de cet adolescent a, une fois de plus, provoqué un vaste mouvement de revendications fondé sur la dignité de l’autre. Les « Amis de Joe », ses compagnons de classe, ont organisé une manifestation aux côtés des parents pour montrer leur refus et leur rejet de la violence, et pour prôner des valeurs d’humanisme et de dialogue.

Une des conséquences de cette manifestation non violente aura sans doute été que les débats et les tergiversations sur le contenu de la réforme de la loi relative à la protection de la jeunesse ont cessé d’un coup et que la nouvelle loi, préparée et négociée depuis plusieurs années par la Ministre de la Justice, a été votée immédiatement par le Parlement fédéral.

Tout de suite après, le Gouvernement de la Communauté française a adopté un plan de l’Aide à la jeunesse, qui prévoit les prises en charge des délinquants juvéniles en rapport avec la nouvelle loi mais aussi des mesures de prévention, notamment dans les écoles. Le Gouvernement tient compte des propositions issues des Carrefours de l’aide à la jeunesse, mais y ajoute subtilement une pincée de répression, en décidant de manière abrupte la création de 10 nouvelles places en milieu fermé.

En tout cas, l’agression de la gare centrale aura confirmé de manière dramatique des constats déjà avancés par le passé. Ainsi, la nature du passage à l’acte du jeune délinquant n’est pas forcément en rapport avec l’objet convoité. Ces passages à l’acte peuvent aussi être extrêmement violents et, en apparence, gratuits.

Cette délinquance, spectaculaire et grave, est rare mais elle existe bel et bien. Cela ne doit cependant pas nous faire oublier que la lutte contre la délinquance juvénile devrait passer par la prévention dans toutes les couches de la population, des plus aisées aux plus marginales.

Le drame de la gare centrale filmé par des caméras de surveillance aura aussi montré que le piège de la stigmatisation d’une partie de la population reste présent dans nos modes d’analyse d’une situation particulièrement médiatisée.

Nous pensions avoir vécu le sommet de l’horreur et de l’absurdité. L’enlèvement et la mort de deux petites filles rappellera à tous que la bête au visage d’homme rôde toujours : la plupart des agresseurs sexuels se retrouve un jour ou l’autre en liberté. Cette fois-ci, les autorités prendront peut-être enfin conscience que l’absence de contrôle social des abuseurs d’enfants, libérés, soit de la prison en fin de peine, soit de la défense sociale après traitement, remet parfois dans la population des récidivistes et des criminels en puissance ?

Cette affaire révèle trois questions fondamentales. L’une concerne le contrôle social des abuseurs placés en liberté. L’autre se rapporte aux traitements à donner aux abuseurs sexuels en prison et à l’extérieur des lieux de détention. La suivante, pas la moins importante sur le long terme, vise les politiques de prévention à mettre en place, tant vis-à-vis des personnes attirées sexuellement vers les enfants, qu’à l’égard des enfants eux-mêmes. Mais ces politiques de prévention ne peuvent en aucun cas omettre la fonction d’éduquer les parents à protéger leurs enfants.

Cette affaire de la disparition des deux petites filles a été l’occasion pour la Justice et les forces de police de redorer le blason fortement terni par les conclusions de l’enquête parlementaire relative à l’affaire Dutroux et consorts.

Faut-il pour autant conclure qu’aujourd’hui tout va pour le mieux dans le pays des droits des enfants judiciarisés ?

Les mentalités ont-elles évolué ?

En ce qui concerne le corps enseignant, les mouvements de jeunesse, il s’est créé une sorte de réflexe de prudence collectif qui freine les gestes d’affection, les apartés de confidences, l’expression verbale amicale. Beaucoup sont sur la réserve. Pour ce qui est de l’exercice de la Justice, il est clair que pour une grande majorité de magistrats, il apparaît plus de considération pour la victime et pour l’enfant victime en particulier.

Il n’empêche que dans les affaires de séparation et de divorce, ce sont souvent les droits des parents qui priment sur l’intérêt de l’enfant. On agrémente souvent la notion d’intérêt supérieur à toutes les sauces.

Et puis, il y a ceux qui ont dû procéder à un lifting par la force des choses. Ils  se forcent pour montrer de l’empathie, mais à l’intérieur d’eux-mêmes, rien n’a changé, le ton reste hautain et le verbe haut, comme si Thémis n’était pas capable de descendre de son piédestal.

Derrière les sourires, se cachent parfois les pires répressions diffuses.

Il ne faudrait pas laisser croire que la Justice fait toujours preuve de la même rigueur et de la même compétence dans toutes les affaires concernant les enfants : enfants de couples séparés, enfants victimes de rapt parental, enfants retirés d’autorité du milieu familial pour être placés…

Les situations individuelles traitées ou prises en charge par notre institution témoignent qu’il ne faut surtout pas baisser la garde pour la défense des droits et des intérêts des enfants ayant affaire à la Justice et aux agents administratifs qui appliquent les décisions judiciaires.

Au niveau de l’analyse des situations individuelles, c’est la question du vécu des enfants dont les parents se séparent de manière conflictuelle qui interpelle le plus. Tant les magistrats que les services d’aide se sentent souvent perdus et démunis devant des situations complètement bloquées.

D’autres faits divers ou statistiques démontrent que tant des plans de prévention et d’éducation sexuelle et affective, que des programmes de prises en charge d’abuseurs sexuels mineurs d’âge, devraient être constitués sur la base des avancées de la recherche scientifique, puis mis en œuvre à l’intention des enfants et des adolescents.

L’école reste un lieu essentiel pour l’avenir des enfants et de la société que nous voulons continuer à construire. Un enseignant ne peut être uniquement celui qui transmet le savoir. Il est devenu, dans les faits, un professionnel qui a un rôle d’éducation, de soutien et de protection à l’égard des enfants ou des jeunes dont il a la charge.

Lorsqu’on prend connaissance des résultats de l’enquête réalisée par la mutualité socialiste sur le thème de la pornographie chez les jeunes, on ne peut qu’encourager le développement à l’école ou ailleurs d’une éducation sexuelle et affective fondée sur la parenté responsable. En effet, si beaucoup de jeunes pensent que la pornographie est un outil valable d’éducation sexuelle, nombreux sont ceux qui la considèrent comme choquante, dégradante et dégoûtante, avec un effet négatif sur la tendresse et la fidélité.

Cela pose automatiquement des problèmes de formation des maîtres pour assurer correctement un rôle social à côté des parents. Car la question est là. L’enseignant devrait assurer ces fonctions, en symbiose avec les parents, pas à côté ou contre les parents. Pas simple. Cela implique aussi dans leur formation la capacité d’informer, d’échanger avec les enfants, les jeunes et les adultes qui en ont la responsabilité. Cela nécessite aussi de leur part une connaissance du secteur psycho-médico-social afin qu’ils puissent orienter efficacement l’enfant, le jeune et/ou sa famille vers les services compétents.

Or, nous savons que les familles sont multiples, parfois dissociées, ce qui rend la mission de l’enseignant encore plus complexe. Les responsables de l’école, à quelque niveau qu’ils soient, ne peuvent se contenter de demander une école de la réussite scolaire. Ils doivent placer la barre plus haut d’un point de vue qualitatif, tout en défendant certaines valeurs démocratiques indispensables, intangibles. Mais l’école ne peut être le seul lieu de socialisation et d’intégration des règles. En matière d’autorité, enseignants et parents doivent faire cause commune, mais pas contre l’enfant ou l’adolescent, seulement dans un souci d’éducation équilibrée, entre droits et devoirs. Cela exige aussi une organisation de l’école renouvelée en fonction du projet. La formation du maître est une chose, son statut en est une autre.

Gageons qu’on ne pourra réussir le projet d’une école en permanente mutation par rapport à l’évolution de la société et des technologies nouvelles que si on a la volonté de valoriser le statut de l’enseignant en fonction des différents rôles et missions qu’il doit assumer.

Ce raisonnement vaut d’ailleurs pour tout le secteur du non-marchand à qui on demande toujours plus sans lui donner souvent la place qui lui revient dans l’échelle sociale et économique.

Nous sommes ici bien loin des tourbillons médiatiques liés à l’un ou l’autre fait divers dramatique.

A côté d’actes insupportables et d’une violence extrême et abjecte, il existe des signes porteurs d’espérance. Les réactions humanistes et positives des parents et des proches des victimes, « Les amis de Joe » et les enfants des classes de Stacy et Nathalie, nous ont impressionnés tant par la spontanéité et l’authenticité des gestes posés que par le refus de voir la violence s’imposer.

Un détail qui pouvait, à l’époque, paraître anodin retient aujourd’hui l’attention : le groupe de rap « Art Mada » avait, bien avant les drames, ajouté subrepticement un titre dans la commande d’un CD à l’intention des écoles secondaires : « On garde l’espoir ».

Alors, on garde l’espoir ! Même si dans cette société en mutation permanente et de plus en plus accélérée, il faut à la fois faire preuve d’imagination, de créativité et d’abnégation pour tracer son chemin et donner un sens à sa vie...

On garde de l’espoir car, avec de la persévérance, on constate que certaines choses que l’on croyait à jamais immobiles, peuvent bouger. Un exemple anecdotique : la Commission nationale des droits de l’enfant. Recommandée depuis plus de 10 ans par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies,  nous écrivions dans le rapport annuel qu’à la date du 18 octobre 2006, malgré les promesses, elle n’était toujours pas installée. Le Moniteur belge du 10 novembre 2006 a publié de dernier acte d’approbation de l’accord de coopération qui la concerne. Elle devrait donc enfin être mise en place tout prochainement…



Vous pouvez télécharger le rapport annuel (.pdf)le dossier de presse (.pdf) et le rapport de la Commission des Affaires sociales du Parlement de la Communauté française (.pdf).